N° 12  -  2006

Vulnérabilité des eaux souterraines
de l’Oxfordien supérieur
dans la basse vallée de l’Auron
entre Annoix et le Porche

Avis hydrogéologique sollicité par l’Association St Just Avenir Environnement
à propos de l’ouverture d’une nouvelle carrière au lieu-dit Terre – Chevigny.

Pierre de Bretizel D.Sc.

Mars 2006

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Documents consultés

  • Cartes géologiques à 1/50.000 de Bourges, Nérondes et Châteauneuf /Cher
  • Etude géologique du site de carrière et de son environnement (Commune de Saint Just – Cher), par D.Galmier – Chronique des Sources et Fontaines n° 11-2005.
  • Dossier de demande d’autorisation d’ouverture de carrière par l’Entreprise Renoroute : Etude d’impact. 2003.
  • Etude environnementale du champ captant du Porche – Volet hydrogéologie Rapport de synthèse, par le Bureau d’étude ANTEA – 2004.
  • Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux (S.A.G.E.) du bassin Yèvre – Auron. Synthèse générale. 2005.

I - GEOLOGIE DE L'AQUIFERE

  • 1 - Lithostratigraphie
  • Les eaux souterraines dans le bassin de l’Auron, entre Annoix en amont et en aval le champ captant du Porche, en limite sud de l’agglomération de Bourges, sont contenues dans la formation dite des " calcaires lités inférieurs " appartenant à l’Oxfordien supérieur.
    Cette formation est la partie supérieure d’une masse calcaire incluant à la base les couches de l’Oxfordien inférieur et du Dogger.
    Elle est constituée par une séquence uniforme de calcaires du type micritique, en bancs de 20 à 40 cm d’épaisseur séparés par des interlits marneux centimétriques.
    L’épaisseur totale de la formation atteindrait ici une centaine de mètres.

  • 2 - Formations de couverture
  • Elles sont totalement absentes : l’aquifère défini ci-dessus est en affleurement dans tout le bassin versant concerné, dans les fonds de vallées comme à la surface des plateaux environnants.
    A part quelques placages insignifiants de limon des plateaux on peut donc considérer que la totalité de la surface du bassin versant de l’Auron, entre Annoix et Le Porche, constitue l’impluvium de l’aquifère oxfordien (figure 1).
    Les alluvions du fond de la vallée de l’Auron, essentiellement sables et graviers perméables, sont en contact direct avec le toit de l’Oxfordien supérieur. Leur faible extension latérale et en profondeur ne leur confère aucun rôle d’écran imperméable ou filtrant.

  • 3 - Configuration structurale
  • L’ensemble stratifié de l’Oxfordien supérieur présente un pendage régional vers le nord-ouest plus ou moins parallèle au gradient topographique, soit environ 0,14 %.
    Entre Annoix et Bourges la direction moyenne d’écoulement des eaux de surface de l’Auron est sensiblement la même que la direction de pendage des couches. On en déduit que ces eaux coulent sur la surface structurale du toit de l’Oxfordien supérieur. Autrement dit, les couches calcaires sur lesquelles coule l’Auron à hauteur d’Annoix appartiennent au même niveau stratigraphique que les couches calcaires sur lesquelles il coule à hauteur du Porche.
    L’examen attentif des photos aériennes (cf. étude D.Galmier citée § 1) montre que le plateau calcaire est parcouru par des réseaux de failles à faible rejet et de fractures : les directions relevées les plus fréquentes sont N20E, N40E et N75E.
    D’autre part, le traitement informatique de l’image satellite numérique montre qu’un certain nombre de ces petits accidents tectoniques présentent des anomalies de texture et de couleur généralement indicatives d’une relation avec des circulations d’eaux souterraines (lignes d’altération différentielle des sols ou lignes végétales spécifiques). Ils peuvent donc jouer un rôle de drainage latéral dans le bassin versant de l’Auron, voire même interconnecter celui-ci avec les bassins versants voisins de l’Yèvre et de la Rampenne (cf. figures 1 et 2). Cependant ils ne paraissent pas en relation avec des structures profondes mais plutôt comme le résultat d’un tassement irrégulier (subsidence) des couches jurassiques dans cette partie du bassin de Paris. Il est donc probable qu’il n’aient qu’une extension verticale réduite.
    En ce qui concerne plus particulièrement le site de la carrière, l’image satellite permet d’y détecter le passage d’une de ces failles : son extension est visible de part et d’autre de l’Auron entre Vorly et Crosses. Elle se dédouble en deux couloirs de fractures sur le site de Terre-Chevigny (cf. figures 1 et 2) . Sur le terrain, son passage est directement observable dans le front de l’ancienne carrière à la sortie du pont sur l’Auron (cf. figure 3).

II - PARAMETRES HYDRAULIQUES

  1. Piézomètrie
  2. 1.1. Vallée de l’Auron seule

    Le tableau ci-dessous et sa représentation graphique donne les valeurs pièzométriques relevées en 1995, toutes situées dans la vallée de l’Auron au niveau du lit de la rivière, sur une distance rectiligne de 15 km.

    cotes

    cotes

    cotes

    profondeur

    profondeur

    hautes eaux

    basses eaux

    topo NGF

    hautes eaux

    basses eaux

    Le Porche

    128,5

    128

    131

    2,5

    3

    Givaudins

    132,4

    132,2

    135

    2,6

    2,8

    Plaimpied

    137

    136,5

    142

    5

    5,5

    La Salle

    139,8

    139

    143

    3,2

    4

    Chevigny

    140

    138,9

    144

    4

    5,1

    Feularde

    141,95

    141,6

    146

    4,05

    4,4

    Annoix

    146,5

    149

    2,5

    On constate que :

    • La différence de cote pièzométrique entre la période de hautes eaux (mai) et la période de basses eaux (octobre) est très faible : = ou < au mètre.
    • La surface piézométrique, c’est à dire la limite entre la zone saturée profonde et la zone libre superficielle où circulent ensemble les eaux souterraines et l’air atmosphérique, apparaît ici très proche de la surface topographique : entre 2,5 et 4 mètres. Le gradient piézomètrique a donc à peu près la même valeur que le profil topographique du cours de l’Auron et indique une direction d’écoulement identique : soit 0,12 %. Cette pente est également très proche du pendage régional de l’Oxfordien (0,14%) et a la même direction nord-ouest (cf. ci-dessus § 2.3.) : ceci indique que les écoulements interstrates sont prédominants.

    1.2. Vallée de l’Auron et plateaux adjacents.

    La corrélation des valeurs relevées dans la vallée de l’Auron avec celles des piézomètres situés en rive gauche et en rive droite est traduite par des courbes isopièzes (courbes joignant des cotes piézométriques NGF équivalentes) qui sont indiquées sur les figures 1 et 2.

    On constate que :

    • Les courbes isopièzes des mesures effectuées en période de basses eaux et en périodes de hautes eaux, très proches l’une de l’autre dans l’axe de la vallée de l’Auron, ont par contre des tracés divergents lorsqu’on s’éloigne de cet axe. L’ensemble dessine une anomalie négative dont l’axe suit plus ou moins les sinuosités de la vallée.
    • On en déduit que le collecteur principal des eaux souterraines du bassin est en corrélation étroite avec le cours de la rivière.
    • Seules les isopièzes de hautes eaux épousent étroitement les modelés de la surface et plus particulièrement les lignes géomorphologiques indiquant le passage des failles recoupant la vallée de l’Auron. Ce phénomène est particulièrement bien marqué aux abords de la carrière de Terre-Chauvigny.

    On en déduit que, en période de précipitations abondantes au cours desquelles le niveau de la nappe phréatique remonte, les couloirs de failles fonctionnent comme des drains vers le collecteur principal souterrain de l’Auron mais également vers son cours de surface, probablement sous forme de résurgences diffuses sous-alluvionnaires.


    Figure 1


    Figure 2

    Cliquer sur les illustrations pour les agrandir

  3. Transmissivité
  4. C’est le paramètre définissant la vitesse d’écoulement dans un milieu poreux saturé.
    Dans les formations calcaires du Jurassique supérieur de la région la valeur moyenne admise est de 5x 10-4 m2/s. Elle n’est valable que pour des formations calcaires fissurées peu karstifiées. Elle peut varier localement en fonction du degré de fracturation et de dissolution (karstification) de l’aquifère calcaire.
    Elle permet de calculer le temps de transfert entre un point donné de la nappe phréatique et son exutoire naturel ou artificiel.
    Dans le cas présent, on pourrait, par hypothèse faute de mesures directes, appliquer cette valeur entre le site de carrière de Terre-Chauvigny et le champ captant du Porche. Le temps de transfert de l’eau souterraine, sous le niveau piézométrique, entre ces deux points distants de 11 km serait alors théoriquement de 6 ou 7 ans. Cependant les observations exposées au paragraphe précédent montrent que les eaux souterraines circulant dans la zone libre au dessus du niveau phréatique seraient en partie récupérées par le cours de surface de l’Auron grâce au drainage des failles transverses. Dans ce cas le temps de transfert serait extrêmement rapide, surtout en période de hautes eaux.
    Une pollution par des hydrocarbures, par exemple, sur le site de Terre-Chevigny pourrait atteindre les abords du champ captant du Porche en quelques semaines voire quelques jours.

  5. Le champ captant du Porche
  6. Il comprend 4 forages productifs qui alimentent en eau potable l’agglomération de Bourges. En 2003 leur production totale a été de 2.053.000 m3.
    Ce champ captant est situé au confluent de l’Auron et de son affluent de rive gauche la Rampenne, en un point ou le niveau piézométrique est très proche de la surface. Il est donc possible qu’une résurgence naturelle ait existé autrefois alimentée par la nappe du bassin de l’Auron et par celle du bassin de la Rampenne.

    Ces 4 forages captent l’eau souterraine de l’aquifère oxfordien à des profondeurs différentes :

      F4 : de 8,5 à 26 m
      F3 : de 10 à 41 m
      F1 : de 20 à 85 m
      F2 : de 15 à 95 m


    Cliquer sur la coupe pour l'agrandir

    On pourrait en déduire que plus la colonne captante est profonde plus son aire d’alimentation (impluvium) est éloignée vers le sud suivant la remontée du pendage régional des couches dans cette direction. Ceci serait possible en théorie du fait que les bancs calcaires aquifères de l’Oxfordien sont séparés par des interlits marneux imperméables. Mais nos propres observations sur photos aériennes et satellitaire (cf. § 3.) montrent la présence d’une fracturation transverse le long de lignes de failles et qui sont par ailleurs également visibles sur le front de l’ancienne carrière de Terre-Chevigny (cf. figure 3). Cette fracturation traversant verticalement les couches aquifères de l’Oxfordien les fait donc communiquer entre elles, que ce soit dans la zone non saturée où circulent librement les eaux météoriques ou dans la zone saturée sous le niveau piézomètrique.
    Nous avons vu également qu’en surface l’Auron coule pratiquement sur la surface structurale du toit de l’Oxfordien supérieur en suivant le pendage entre Annoix et Le Porche (cf. § 1.1. et § 1.2.).
    Les minces niveaux imperméables à l’intérieur de la séquence aquifère sont donc rompus par la fracturation. On en déduit qu’une pollution générée à partir de n’importe quel point du bassin versant de l’Auron en aval d’Annoix soit potentiellement susceptible d’atteindre les 4 colonnes captantes du Porche par la surface comme par la zone saturée profonde.

III - CONCLUSION

La vulnérabilité de l’aquifère de l’Oxfordien supérieur, capté pour l’alimentation en eau potable (AEP) de la Communauté d’Agglomérations de Bourges au lieu-dit " Le Porche ", apparaît extrêmement élevée dans le bassin versant de l’Auron, sur une quinzaine de kilomètres entre le point de captage et Annoix.
Son degré élevé de vulnérabilité est déterminé par les critères suivants :

  • aucune couverture imperméable n’isole l’aquifère de la surface, lequel est en position affleurante partout , tant sur les reliefs des versants qu’à la surface des plateaux.
  • Le cours de L’Auron suit le pendage des couches calcaires : c’est pratiquement le même niveau stratigraphique qui affleure en fond de vallée depuis l’amont (Annoix) jusqu’au champ captant du Porche.
  • La surface de la nappe phréatique est très proche du fond de la vallée de l’Auron : entre 2,5 et 4 mètres seulement.
  • Les relevés piézométriques indiquent que l’écoulement de la nappe phréatique vers le nord-ouest est contrôlé par un collecteur principal qui suit au plus près le cours de surface de l’Auron et par des collecteurs latéraux déterminés par un réseau de failles et fractures transverses, observables en photo aérienne et sur image satellite. Le champ captant du Porche est situé sur le collecteur principal au débouché de ce système aquifère.
  • En période de hautes eaux les temps de transfert des eaux souterraines de la zone non saturée peuvent être très rapides ( de l’ordre de quelques jours) sur l’ensemble du bassin versant.
  • En ce qui concerne le site de Terre-Chevigny, il est situé sur un point particulièrement vulnérable, à l’aplomb du collecteur souterrain principal, à l’endroit ou celui-ci interfère avec un double couloir de fractures drainantes (figure 4). De plus, le fond prévu dans l’excavation de la carrière (cote minimale de fond de fouille : NGF 148 m) ne sera qu’à 6 mètres au dessus du niveau phréatique moyen des hautes eaux. Dans un tel environnement, une pollution accidentelle du chantier ne serait qu’à quelques jours de transfert du périmètre d’appel du champ captant du Porche.