N° 11  -  2005

 

Projet de stockages de déchets dans la Sarthe
(lieu-dit " Sapins des Pauvres ")

NOTES CRITIQUES HYDROGEOLOGIQUES
SUR L’ETUDE D’IMPACT DE CTS 72
MAI 2005

Référence : Étude hydrogéologique par P.de Bretizel
(Chronique des Sources et Fontaines N° 9)

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Ces notes concernent essentiellement : l’introduction p.4 intitulée " Motivation de l’implantation de ce projet ; le paragraphe II-2 impact sur l’eau et le sol ; les annexes II, III, IV et X.

  • Motivation de l’implantation de ce projet p. 4
    1. Le pétitionnaire écrit : " Aucun captage d’eau potable ayant une utilisation à venir à long terme n’est répertorié à proximité de ce projet. "
    2. Notre commentaire : assertion inexacte : le projet se situe à proximité de 3 captages d’eau potable AEP : la source de la Veuve, le forage de La Pointe (ou du Réservoir) et la Source de la Hune. Leur devenir à long terme n’a fait l’objet, à notre connaissance, d’aucune décision officielle.

    3. Le pétitionnaire écrit : "  La géologie du site possède une bonne imperméabilité qui sera complétée par une technique innovante pour augmenter l’étanchéité naturelle du site. "
    4. Notre commentaire : Les essais de perméabilité effectués par GEOTEC montrent au contraire une imperméabilité du sous-sol insuffisante à l’emplacement du site. (explication plus loin)
      Aucune mention n’est faite sur un choix motivé du site en fonction de l’environnement hydrogéologique ou du régime des eaux souterraines.

  • Paragraphe II-2-1 Impact sur l’eau et le sous-sol. p. 40
  • Le pétitionnaire indique que des pièzomètres ont été installés pour mesurer la " qualité "(sic) des nappes sous-jacentes.
    En réalité, si on se réfère au rapport de B.Pivette (annexe IV), le but de ces piézomètres était de déterminer le niveau pièzométrique des nappes profondes à l’aplomb du du site et d’en déduire les directions d’écoulement. Les résultats obtenus montrent que le site est localisé sur une crête piézométrique proche de la surface (vers 6 à 10m de profondeur) à l’amont d’un écoulement souterrain vers le bassin de la Hune et à l’amont d’un écoulement souterrain vers le bassin de la Veuve. Ceci confirme les données de l’étude de P.de Bretizel (jointe à cette note).
    On en déduit que le projet serait implanté sur un point de vulnérabilité maximale aux risques de pollution, en ce qui concerne les eaux souterraines. On n’en trouve aucune mention dans ce paragraphe, le pétitionnaire considérant peut-être cette question comme négligeable.

  • Paragraphe II-2-2 Etanchéification des casiers du CSDU p. 41
  • Dans ce paragraphe, comme dans le précédent, on ne parle absolument pas d’impact sur le milieu souterrain naturel !
    En ce qui concerne les mesures de perméabilité, nos commentaires sont les suivants :

    • La maille des points testés était de 150 mètres et plus, ce qui est beaucoup trop large pour estimer la perméabilité réelle d’une formation géologique aussi hétérogène que l’Eocène ici.
    • Seul le fond des trous, vers 13 m de profondeur, a été mesuré. Aucune mesure de perméabilité latérale entre 1 et 13 m n’a été effectuée. La maille des mesures apparaît donc nettement insuffisante tant verticalement qu’horizontalement.
    • Les seuls résultats obtenus en fond de trou montrent que le terrain naturel, à savoir des sables argileux, n’est globalement pas imperméable (ce qui n’est pas une découverte !) : Toutes les valeurs de perméabilité sont supérieures à 5.10-8m/s. La moyenne pondérée s’établit à 3.10-7m/s, ce qui n’a guère de signification car 1/3 des valeurs sont supérieures à 8.10-6m/s caractérisant un matériau perméable et de surplus aquifère (venues d’eau superficielles signalées par l’opérateur).

    Par ailleurs , il y a dans ce paragraphe une confusion regrettable dans les définitions de barrière active et barrière passive :
    Le terme de barrière passive désigne uniquement un terrain naturel en place de caractère imperméable, autrement dit une couche géologique non remaniée.
    Le terme de barrière active s’applique à tout procédé artificiel rapporté dont la destination est de renforcer (et non de remplacer) l’étanchéité du soubassement naturel (barrière passive). Un film plastique, alias géomembrane, posé sur le fond d’un casier, est un élément de barrière active et une couche de kaolin rapportée et mélangée ou non au matériau local est également un élément de barrière active.
    Cependant, le pétitionnaire présente un procédé d’étanchage par du kaolin rapporté comme une barrière passive, ce qui est un contresens lourd de conséquences car cela pourrait signifier que l’on pourrait implanter des stockages de déchets sur n’importe quel terrain naturel et qu’à la limite il serait inutile de faire une étude hydrogéologique préalable, puisque le sous-sol serait protégé artificiellement.
    La réglementation a prévu que des mesures de renforcement (barrière active) peuvent être mises en œuvre sous la seule condition que l’existence d’une barrière passive naturelle ait été démontré.
    Au cas où celle-ci n’existerait pas, ce qui paraît bien être le cas ici, la mise en place d’une barrière active artificielle pourrait être considéré comme un détournement des objectifs de la réglementation
    .

  • Annexes
    • L’annexe II est un simple compte-rendu des travaux de sondages qui ont servi à faire les mesures de piézométrie (niveau de la nappe phréatique) et de perméabilité, ainsi que les coupes géologiques des sondages.
      Les résultats de ces mesures sont présentés sans commentaires ni conclusions (voir notre avis ci-dessus), alors qu’ils sont essentiels pour déterminer la nature et les propriétés du soubassement du site !.
    • L’annexe III est un rapport sur des travaux de prospection par l’entreprise minière Morillon-Corvol qui recherchait un gisement de sable exploitable comme matériau BTP. Les données géologiques y sont intéressantes mais ne concernent que la valeur du terrain en tant que minerai exploitable.
      Cette annexe est donc hors sujet.
    • L’annexe IV, rapport hydrogéologique par B.Pivette, est, par contre, la référence essentielle pour l’évaluation de l’impact du projet sur les eaux souterraines. Malgré cela, aucune des données qu’elle apporte n’est mentionnée dans le paragraphe II-2-1 qui est pourtant intitulé : " impact sur l’eau et le sous-sol ". On se demanderait presque pourquoi elle a été jointe en annexe !
      Les faits d’observation exposés dans cet excellent rapport concordent avec ceux de l’étude de P. de Bretizel ci-jointe, tant sur le descriptif de la géologie locale et régionale que sur l’évaluation des nappes phréatiques du Turonien et du Cénomanien et sur leurs directions d’écoulement.
      L’étude de P . de Bretizel apporte cependant des données structurales nouvelles qui complètent celles du rapport de B. Pivette. Ce sont principalement :
      La présence d’une fracturation importante
      affectant les calcaires du Turonien et les bancs gréseux du Cénomanien entrainant un drainage de ces aquifères.
      La présence de dissolutions karstiques dans les calcaires du Turonien sous la couverture argilo-sableuse éocène, accentuant les effets de drainage et pouvant entraîner une instabilité du soubassement à l’aplomb du site.
      La prolongation vers le sud-est de la gouttière synclinale du Narais jusqu’aux abords du site, déterminant la direction d’écoulement des eaux souterraines vers le nord-ouest.

    En conclusion

    L’implantation d’activités de traitement et de stockage de déchets sur le site dit " Sapins des Pauvres " représente un risque majeur de pollution des nappes phréatiques pour les raisons suivantes :

    • 1. Le site se situe sur une crête piézométrique, c’est à dire une ligne de partage des eaux souterraines où les nappes phréatiques du Turonien et du Cénomanien sont le plus près de la surface topographique. Partant de cette crête, les eaux souterraines s’écoulent vers la Hune (bassin de la Sarthe) et vers la Veuve (bassin du Loir).
    • 2. Un réseau de failles et de fractures canalise ces écoulements et fait communiquer localement les deux ressources aquifères du Turonien et du Cénomanien.
    • 3. Les mesures de perméabilité dans les forages exécutés sur le site ont donné des résultats médiocres voire négatifs pour 1/3 d’entre eux, indiquant ainsi l’absence de barrière passive naturelle.
    • 4. L’efficacité de la barrière active proposée, comprenant un film plastique de 2 mm d’épaisseur et une couche rajoutée de kaolin mélangée au terrain local sur 2 m d’épaisseur est illusoire à long terme du fait de la fracturation et de dissolutions karstiques dans les calcaires sous-jacents pouvant entraîner des ruptures par effondrement (en plus d’un poinçonnage possible par le poids des déchets).
    • 5. La barrière active est ici une mesure palliative qui va à l’encontre de la réglementation, laquelle n’autorise son emploi qu’à la condition formelle de la présence d’une barrière passive naturelle, ce qui n’a pas été démontré dans l’étude d’impact.
    • 6. Le site proposé se trouve entre 3 captages AEP dont deux sont opérationnels actuellement.
    • 7. La vulnérabilité des eaux souterraines est maximale à l’aplomb et à l’aval du site pour les raisons exposées ci-dessus. En particulier la nappe du Cénomanien qui est la principale ressource régionale en eau potable et qui est classée par le SDAGE comme " Réserve aquifère prioritaire pour l’alimentation en eau potable ".