
N° 10 - 2004
IMPACT PROBABLE SUR LA QUALITE DES EAUX SOUTERRAINES D’UN
PROJET DE CENTRE D’ENFOUISSEMENT TECHNIQUE AU PAYS DES AMOGNES ( NIEVRE )
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Le secteur concerné est situé au lieu –dit « Champs Réaux », commune de St
Jean-aux-Amognes.
Le projet consiste en un stockage de 60.000 tonnes par an de déchets ultimes, soit une masse totale de
1.200.000 tonnes sur 20 ans.
Il s’agit donc d’une opération de grande envergure, risquant d’avoir des
conséquences graves sur l’environnement en général et sur les eaux souterraines en particulier. Le risque de pollution des eaux souterraines devrait, selon le pétitionnaire, être annihilé par la
mise en place de mesures compensatoires telles qu’un drainage superficiel et la pose d’écrans
imperméables artificiels jouant le rôle de barrière active (géomembrane) dont l’efficacité dans le
temps reste à démontrer.
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Or ces mesures compensatoires ne sont réglementairement valables que dans le cas où il existe une
barrière passive (substratum naturel) imperméable sous-jacente. Au cas où celle-ci n’existerait pas,
la mise en place d’une barrière active serait un détournement des objectifs de la réglementation.
Les remarques qui vont suivre montrent que la nature du substratum ne pourrait jouer le rôle de
barrière passive dans le secteur des « Champs Réaux ».
Dans l’étude que nous présentons ici, nous avons :
1-analysé en détail les résultats des travaux effectués par le pétitionnaire et les conclusions qu’il
en tire.
2-Effectué une compilation de données appartenant au domaine public.
3-Effectué une étude géomorphologique détaillée du secteur concerné à partir de traitement
informatique d’image satellite et de photos aériennes numérique qui nous a permis de mieux définir le
contexte structural dans lequel se place le projet.
1. GEOLOGIE
1.1. Lithostratigraphie
La séquence sédimentaire qui affleure dans le secteur du site est d’âge Aalénien inférieur daté par une faune à céphalopodes. Elle est constituée par une
alternance centimétrique à décimétrique de calcaires micritiques, de grès fins et de
marnes.
Elle repose sur des marnes monotones à litage millimétrique (faciès « schistes cartons ») datés en Toarcien. Le passage des faciès de l’Aalénien à ceux du Toarcien sous-jacent est progressif et n’est pas
cartographiable.
Ce ne sont donc pas les marnes monotones du Toarcien qui affleurent aux « Champs Réaux » mais les marnes calcaires et grès de l’Aalénien inférieur. Bien que fortement disloqués à la sub-surface du site, ce sont bien les lithofaciès de l’Aalénien qui ont été rencontrés dans les tranchées à la pelle mécanique, tel qu’il en ressort des descriptions et des photos en annexe. Ce sont ces mêmes faciès qui ont été identifiés par les trous-tarières du B.R.G.M. au voisinage du site.
Par contre, les logs des sondages carottés sont d’une avarice de détails remarquable, tout étant groupé de haut en bas sous le nom de « marnes grises avec petits niveaux de calcaires fracturés » ( !) sans indication de la position et de la fréquence de ces niveaux. Il est cependant probable qu’en profondeur ils aient pu rencontrer les marnes monotones du Toarcien. Les photos des carottes ne sont d’aucune utilité, sinon qu’elles montrent que les carottes n’ont été ni sciées ni fendues pour permettre un examen lithologique en continu.
1.2. Tectonique ( carte de la figure 2)

Figure 1
Le secteur des « Champs Réaux » se situe régionalement sur un petit hörst
(compartiment haut) formant la bordure occidentale du « graben » (compartiment
bas) de Saint Benin d’Azy, la bordure orientale de ce graben étant le massif
granitique de Saint Saulge.
L’axe d’allongement de ce petit hörst , que nous appelerons hörst de Sury, est orienté N140E.Vers le sud, il se termine en biseau près de St Benin d’Azy. Vers le nord, il s’amortit progressivement vers St Sulpice.
Une étude détaillée de l’image satellite zoomée et des photographies aériennes est en cours. Elle montre que le site se trouve dans une zone d’interférence de failles et de fractures dont les directions privilégiées sont N140E, N30E et N180E.
Les failles de direction N30E apparaissent décrochantes et plus récentes. Les autres failles sont normales extensives.

Figure 2 - Cliquer sur la figure pour l'agrandir
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Les plus importantes sont déjà indiquées sur la carte géologique au 1/80.000 et sur la carte géologique provisoire au 1/50.000. On notera que, sur cette dernière, la direction N30E est indiquée en pointillé avec pour légende « Discontinuité stratigraphique » ( !). Or ces discontinuités sont tectoniques et correspondent bien à des morphostructures de fractures et non à des lacunes stratigraphiques.
Du fait du jeu de ces failles, la partie supérieure du Lias affleure aux « Champs Réaux » entre une faille N140E à regard ouest passant par Sury et une faille N180E à regard est passant par Vannay et Bligny. Cette dernière se dédouble en un gradin intermédiaire à l’est du site projeté. La pente topographique où s’inscrit le site apparaît comme une surface structurale à pendage est-sud-est. (figure 1).
La carte de la photo-interprétation au 1/25.000 présentée dans l’étude d’impact est pratiquement vide, ne montrant que deux linéations mineures sans rapport avec la géomorphologie. Il est évident que, si on s’en tient à ce document, le secteur peut être considéré comme vide de failles et de fractures. Un examen sérieux de l’image satellite et des photos aériennes montre au contraire que le secteur est fortement fracturé. |
D’autre part, on peut observer sur les photos des carottes des pertes importantes pouvant être causées par des passages fracturés ou décalcifiés (quatre sondages sur cinq sont concernés).
1.3. Diagraphie du sondage F1
a) La courbe de radioactivité naturelle, malgré un « bruit de fond » irrégulier, montre une légère augmentation du comptage à partir de –33 mètres, indiquant ainsi une augmentation du pourcentage en minéraux argileux.
b) Les courbes de radioactivité provoquée montrent un fort pic positif du comptage entre –10 mètres et –14 mètres. Ceci traduit la présence d’une couche à très faible densité mais sans changement de la teneur en argile : ceci est probablement l’indice d’une zone disloquée (faille ou glissement).
Plus bas on observe une baisse des comptages à partir de la cote –35 mètres, se lisant comme une augmentation nette de la densité. Le passage des faciès variés de l’Aalénien au faciès marneux monotone du Toarcien pourrait se situer à ce niveau.
1.4. Prospection géophysique
Quatre profils de mesures de résistivité ont été exécutés. Le dispositif adopté a permis une profondeur d’investigation de
18 mètres. Trois couches de résistivité différentes ont ainsi été détectées de haut en bas :
- une couche plus résistante (30 ohm/m) entre 2 et 6 mètres d’épaisseur,
- une couche moins résistante (10 ohm/m) entre 5 et 10 mètres d’épaisseur,
- une couche plus résistante (30 ohm/m) à partir de 15 mètres de profondeur.
Leurs limites révèlent un pendage apparent de 5° vers l’est, soit plus ou moins parallèle à la surface topographique. Ceci vient confirmer que cette surface est structurale telle que vue sur la photo aérienne. Les différences de résistivité entre ces trois couches ne sont en fait pas très importantes et ne traduisent pas de changements lithologiques notables entre la surface et le fond.
On observe par contre – ce qui est passé sous silence dans l’étude d’impact – que les limites de ces trois couches montrent partout des dislocations majeures. La couche intermédiaire est notamment interrompue en plusieurs points, indiquant ainsi des passages fracturés associés à des « boudinages » dûs probablement à des décollements gravitaires.
Ceci corrobore les observations géologiques faites dans les tranchées qui montrent des marnes mélangées à des blocs calcaires avec une stratification disloquée.
On est probablement en présence d’un décollement gravitaire interstrate affectant les bancs superficiels sur une épaisseur d’environ 10 à 15 mètres. Ce décollement serait localement perturbé par la présence de failles plus profondes traversant le site suivant une direction N140E (corrélation entre les profils 2, 3 et 4).
2. HYDROGEOLOGIE
Du point de vue hydrogéologique, on distingue dans le graben de Saint Benin d’Azy cinq groupes lithologiques qui sont, dans l’ordre stratigraphique de haut en bas :
- Calcaires à niveaux d’oolithes du Vésulien (Bathonien inférieur) : aquifère de type fissural-karstique de bonne qualité.
- Argiles à gros nodules calcaires du Bajocien supérieur : barrière imperméable de 15 à 20 mètres d’épaisseur.
- Calcaires durs oolithiques du Bajocien inférieur (10 à 15 mètres d’épaisseur) : aquifère de bonne qualité de type fissural-karstique. Sa transmissivité varie suivant le degré des dissolutions karstiques de 10-6 à 10-2 m2/s. Il affleure largement dans la moitié sud du graben, donnant de nombreuses sources sur ses bordures. L’une d’elles est captée pour eau potable à La Traille (2 kilomètres au nord-est de Saint Benin d’Azy).
- Alternance calcaires micritiques et marnes de l’Aalénien inférieur (30 mètres ( ?) d’épaisseur) : aquifère de type fissural. Sa transmissivité est variable suivant les niveaux mais est globalement inférieure à celle des calcaires du Bajocien avec lesquels il se trouve en contact.
Le site du C.E.T. projeté se trouve à la partie supérieure de cette
formation. Les horizons calcaires donnent des sources dont celle située au milieu des « Champs Réaux ».
- Marnes schisteuses du Toarcien : barrière imperméable d’épaisseur supérieure à 30 mètres, isolant en principe les aquifères du Lias inférieur des aquifères du Bajocien et de l’Aalénien. Cependant cette barrière peut être rompue dans les couloirs des grandes failles, notamment sur la bordure occidentale du graben là où se trouve le site projeté.
Failles et fractures drainantes
La distribution de ce réseau ici est caractéristique de la phase tectonique récente qui affecte une bonne partie de la bordure sud du bassin de Paris , jouant un rôle important dans la circulation des eaux souterraines.
Ce réseau est particulièrement développé sur le site et ses alentours (voir ci-dessus) : c’est bien une structure de bordure de graben comme le montrent l’image satellite et les photos aériennes, à laquelle se rajoutent des décollements gravitaires interstrates qui captent les eaux de surface comme le montre l’étude géophysique réalisée pour le compte du pétitionnaire.
C’est pourquoi on ne peut se fier aux mesures de perméabilité faites dans les sondages et dans les tranchées. Elles sont trop ponctuelles et probablement effectuées sur des niveaux marneux non fracturés préalablement sélectionnés, alors que des mesures sur de grands volumes sont nécessaires dans ce type de terrain pour en tester la perméabilité d’ensemble.
Piézométrie
Un unique piézomètre a été installé au point bas du site (NGF +245.00). Il avait pour objectif d’atteindre les calcaires du Pliensbachien et de mesurer le niveau statique dans cet aquifère situé directement sous les marnes du Toarcien. Le forage a été arrêté à –83 mètres sans avoir atteint cet étage. Il a été tubé plein et cimenté de la surface jusqu’à –79 mètres, puis avec un tube crépiné jusqu’au fond.
Donc, non seulement il n’a pas mesuré le niveau statique issu de l’aquifère pliensbachien (non atteint), mais il a été isolé des deux tiers supérieurs de la séquence qui contient les marno-calcaires aquifères de l’Aalénien.
La manière dont cet équipement a été installé ne peut tenir compte que des faibles venues d’eau des marnes du Toarcien, prouvant ainsi leur quasi-imperméabilité – ce que personne ne conteste – mais escamote la partie supérieure, considérée par le pétitionnaire comme identique à la partie inférieure – ce que nous contestons.
CONCLUSION
L’examen minutieux et détaillé des comptes rendus des travaux géologiques et hydrogéologiques effectués pour le compte du pétitionnaire montre que les résultats obtenus sont en contradiction avec les conclusions de l’étude d’impact sur les points suivants :
1) Le terrain encaissant n’est pas constitué uniquement de marnes compactes imperméables attribuées au Toarcien mais d’une alternance de calcaires, silts et marnes de perméabilité variable attribués à l’Aalénien inférieur (étage jamais mentionné dans aucun des textes présentés).
2) Le secteur où se trouve le projet est abondamment fracturé et faillé comme l’indique le dépouillement des résultats géophysiques, des observations géologiques des tranchées et la photo-interprétation, ce qui est difficilement compatible avec la notion de terrain imperméable. A ce sujet, nous considérons que les mesures de perméabilité effectuées ont un caractère trop ponctuel pour être représentatives de la perméabilité globale.
3) La position structurale du projet sur la bordure d’un graben est une menace pour la qualité des eaux souterraines de l’aquifère bajocien : celui-ci est situé stratigraphiquement au-dessus du Lias mais, dans le graben de Saint Benin d’Azy, il se situe en contrebas des formation du Lias contre lesquelles il se juxtapose par des failles.
Les circulations d’eaux souterraines à partir de l’impluvium se font des bordures liasiques du graben vers sa partie centrale (Dogger), qu’elles viennent de l’est (hörst de Saint Saulge) ou de l’ouest (hörst de Sury). Un exutoire majeur est la source de Trailles (captage A.E.P.) sur l’axe central du graben à 2.500 mètres seulement du projet : elle est donc alimentée par l’est comme par l’ouest. Dans ce dernier cas, elle est donc menacée directement par le projet, contrairement aux affirmations énoncées dans les conclusions de l’étude d’impact.
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