N° 9  -  2003

 

LE CONFLUENT DE L'ALLIER ET DE LA LOIRE ET SES ENVIRONS
TELEDETECTION ET PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT

( Première partie )
(La deuxième partie est publiée dans la chronique 10 - 2004)

Denis GALMIER, Ingénieur Géologue

En nous appuyant sur quelques exemples d'intervention sur des études de projets d'aménagement, nous avons voulu montrer l'importance de la télédétection en relation avec la collecte de données diverses sur l'environnement de ces projets. On constate ainsi que les études d'impact sont souvent insuffisantes ou volontairement orientées dans le sens du projet, et particulièrement dans le domaine de la géologie superficielle et profonde. Cinq exemples illustrent cette démonstration : trois seront traités dans cette première partie. Les deux autres paraîtront dans le prochain numéro.

 


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LE BEC D'ALLIER, COMMUNE DE GIMOUILLE
Figures 1 et 2

Un projet d'extraction de graviers était envisagé au lieu-dit LE PETIT GOUR sur la commune de GIMOUIILE (Nièvre) à proximité du confluent de la Loire et de l'Allier. L'étude d'impact n'a pas fait état des problèmes d'hydrologie des nappes alluviales. Nous avons constaté les faits suivants :

Morphologie

La carte géographique IGN au 1/25.000 MAGNY COURS présente, en amont immédiat du confluent de la Loire et de l'Allier, en rive gauche de la Loire et en rive droite de l'Allier, une anomalie de la courbe de niveau 170 mètres entre LA POINTE et LE BOIS GUERY, cette anomalie formant une très légère dépression empruntée par le ruisseau du PETIT GOUR et son prolongement amont, le ruisseau du MARAIS).

Photo-interprétation

La carte géologique au 1/50.000 SANCOINS (548) montre de part et d'autre du confluent un découpage des formations du Lias supérieur et du jurassique moyen en panneaux (horsts et grabens) par des failles orientées essentiellement N5E et N165E. L'interprétation de plusieurs séries de photographies aériennes révèle l'existence de traces diagonales dont la. plus importante N70E traverse l'Allier au pont de la D976 et le site dans la zone déprimée sous la courbe 170 mètres.
Le réseau tectonique et phototectonique ainsi complété montre que le site de gravière projeté se situe à l'intérieur d'un compartiment triangulaire affaissé, limité par trois failles supposées N30E, N70E et N165E. Nous avons donc dans ce secteur un abaissement morphologique et tectonique.
Une coupe géologique entre le puits de captage du CROT DU CHEVAL (Commune de CUFFY, Cher), la D976 et le chemin de fer, orientée nord-ouest sud-est, illustre parfaitement la double observation précédente (fig. I-4).

La comparaison entre les coupes du puits de captage du CROT DU CHEVAL, du sondage Ingéroute pour la reconstruction du pont du GUETIN et du sondage sur la parcelle des CLAMERONS sur le site (A67) est tout-à-fait expressive :
- CROT DU CHEVAL: sol à 170 mètres, eau à 169 mètres,
- Ingéroute, pont du GUETIN : sol à 168,70 mètres, eau entre 168 et 166,50 mètres,
- Parcelle A67 (LES CLAMERONS) : sol à 169 mètres, eau à 165,36 mètres.

Le secteur projeté est donc une zone de sensibilité maximum de la nappe. Par ailleurs, l'accident diagonal N70E constitue un axe drainant.
De plus, la comparaison de la carte IGN au 1/25.000 MAGNY COURS (février 1986) et de la carte d'état-major au 1/50.000 (1903) montre, grâce au quadrillage Lambert identique, qu'en 83 ans l'Allier s'est déplacé d'ouest en est comme suit :

- en rive gauche (côté Cher), déplacement lié à une sédimentation alluviale de 225 mètres de large: en
1903, l'Allier touchait la digue du BEC D'ALLIER,
- en rive droite (côté Nièvre), déplacement lié à une érosion de la berge de 105 mètres soit au minimum un mètre par an. Le surcreusement est bien marqué et l'érosion, vers les années 1990, a pu atteindre 3 mètres par an (fig. I-5). Une carte postale du confluent montre bien l'importance du courant érosif de l'Allier en rive droite.

Observons enfin que le site projeté se situe dans une zone de protection du site inscrit du BEC D'ALLIER (arrêté du 15 décembre 1977). Une dérogation avait donc été accordée .
Le dossier avait franchi toutes les étapes administratives, à savoir :

- présentation du dossier avec étude d'impact,
- agrément du commissaire enquêteur le 4 mai 1992,
- avis favorable de la commission départementale des carrières le 30 juin 1992,
- avis favorable de la commission départementale des sites, perspectives et paysages le 15 juillet 1992.

Administrativement, tout concordait à faire aboutir le projet.
Nous avons opposé à ce dossier les éléments convergents indiqués plus haut dans trois notes successives les 26 juin, 29 juillet et 18 août 1992, montrant que le projet n'était pas viable.
Le 2 septembre 1992, la presse nous informait de l'abandon du projet.


TREMIGNY, COMMUNE DE SAINCAIZE-MEAUCE (NIEVRE)
Figure 3

Le projet de création d'une gravière à TREMIGNY avait fait l'objet d'un arrêté préfectoral négatif le 29 avril 1991. Cet arrêté avait été annulé par le tribunal administratif de DIJON le 28 décembre 1993, décision notifiée le 6 janvier 1994.
Le 18 avril 1994, nous prenions connaissance fortuitement d'un panneau à l'entrée du parc floral d'APREMONT. Nos deux rapports du 25 mai 1994 et du 27 juin 1994 ont apporté de nouveaux éléments au dossier.

L'interprétation de cinq séries de photographies aériennes de 1983 à 1993
nous a permis de mettre en évidence les éléments suivants :
- des anomalies morphologiques et micromorphologiques, certaines de l'ordre de 20 à 30 centimètres de hauteur, à l'intérieur des alluvions récentes,
- des anomalies de « photo-faciès » correspondant au « grain » du type de paysage observé,
- des anomalies de teintes plus sombres ou plus claires que l'environnement,
- des alignements avec une direction dominante N60E. Lorsque le même alignement est observé sur deux ou trois séries de photographies (répétitivité), nous considérons qu'il s'agit d'une faille supposée.

Pour chaque mission photographique, a été établie une carte d'interprétation prenant en compte tous ces éléments. La synthèse de ces observations a été réalisée sous trois aspects différents :
- phototectonique,
- repérage des chenaux de sous-écoulement,
- comparaison avec les résultats des pénétromètres et sondages à la tarière effectués dans le cadre de l'étude d'impact du dossier.

Phototectonique.
En appliquant la règle de répétitivité, nous avons été conduits à proposer un schéma phototectonique montrant les directions suivantes :
- N45-50E représentée par le linéament (alignement) observé sur l'image satellite 1242-10082 du 22 mars 1973, prolongé par la faille supposée des MEREGES,
- N60E représentée par un faisceau d'environ 350 mètres de large, à l'intérieur duquel se placent les points 173 et 179,
- N65-75E représentée par un faisceau d'environ 600 mètres de large, intéressant le secteur des LORRAINS, LES VERDIAUX et TREMIGNY,
- Ouest-est: LES CARRIÈRES, ouest du domaine BRULE et sud de la station de pompage,
- N150E qui est conjuguée des groupes N45 à N75E, observée à l'ouest du point 179.
- La faille supposée nord-sud de l'Allier a été ajoutée à ce dispositif.

On retiendra de cette description l'importance des diagonales N60E et secondairement N150E. Ces directions s'intègrent parfaitement dans le schéma tectonique régional.

Repérage des chenaux de sous-écoulement.
Par superposition des cinq photo-interprétations partielles, nous avons pu mettre en évidence quatre groupes de chenaux :

1°) Au nord de la D149 et à environ 150 à 200 mètres de la rive est de l'Allier, un premier chenal (1) prolongeant le thalweg mouillé situé à 250 mètres au point 173.
2°) 50 mètres à l'est du précédent, un second chenal (2) appuyé sur la digue au sud et s'en écartant de 30 à
40 mètres au nord, prolongeant vers le nord-nord-ouest le lac de MEAUCE.
Ces deux chenaux situés en zone A (zone de grand débit) n'intéressent pas notre problème.
3°) Le chenal ouest de la zone B (zone complémentaire) situé dans le thalweg limité de part et d'autre par la courbe 175 se poursuit vers le nord-nord-est sur 500 mètres environ. Il prend ensuite la direction nord-sud en ondulant légèrement sur 300 mètres environ et s'infléchit vers le nord-ouest pour passer immédiatement au sud du point 174. Delà il repasse en zone A et se poursuit jusqu'au creusement marqué par la courbe 172,50 mètres. Nous notons que ce chenal (3), dans sa partie nord, présente trois communications vers le nord-est avec le quatrième chenal. II s'agit là d'une observation très importante en relation avec le faisceau d'alignements N60E.
4°) Le quatrième chenal (4), chenal est de la zone B, apparaît à 60 mètres à l'est du puits de captage et à 15 mètres à l'ouest de la limite des alluvions anciennes et des alluvions modernes de la zone B. Il se poursuit vers le nord puis vers le nord-nord-est, suivant à 20 mètres environ la. limite géologique alluvions anciennes-alluvions récentes. A hauteur des MEREGES, il est légèrement déplacé vers le nord-ouest par le jeu d'alignements N150E et se situerait alors, sur 150 mètres, à 50 mètres à l'ouest du contact. Ensuite il reviendrait le long de cette limite jusqu'au-delà de TREMIGNY.

Outre les trois communications du chenal (3), il reçoit, dans le secteur du projet de gravière, tout un système de chenaux affluents d'orientation N60-70E visiblement dirigés par le faisceau phototectonique diagonal.
A noter, à l'ouest de TREMIGNY, la. densité de ce système de sous-écoulement.

Comparaison avec les résultats des pénétromètres et des sondages à la tarière.
La grille des points d'observation ne permet pas de disposer d'une vision continue du champ d'étude. Nous avons constaté que le substratum est plus profond aux points suivants :
- n° 2 = 9,20 mètres,
- n° 5 et 6 =11 et 12,70 mètres,
- n°9 et 10 = à l'ouest de la faille supposée de l'Allier,
- n° 13 = plus de 15 mètres, surcreusement local sur accident phototectonique,
- n° 16,17 et 18 = à l'ouest de la faille supposée de l'Allier,
- n° 19 =10,70 mètres et n° 20 = profondeur supérieure à 9 mètres, sur croisement d'alignements nord-sud et N150E,
- n° 21=12,60 mètres et n° 22 =12 mètres.

Une corrélation intéressante existe entre certaines observations de pénétromètre et la photo-interprétation, à savoir :
- le surcreusement local à proximité du CV7 vers 9 mètres correspondrait au chenal (4) est, près du contact alluvions anciennes - alluvions récentes,
- possibilité d'une ou de plusieurs remontées du substratum séparant les chenaux (3) et (4),
- le chenal (3) ouest présenterait une profondeur de l'ordre de 13 mètres.

Le 20 avril 1994, en fin de crue de l'Allier, des photographies au sol ont montré la mise en eau des chenaux de sous-écoulement. La plus spectaculaire montre le chenal (4) à proximité du contact alluvions anciennes - alluvions modernes.

En conclusion,
nous avons mis en évidence que la nappe de l'Allier circule entre MEAUCE et TREMIGNY suivant deux dispositifs différents (3) et (4) présentant des communications dans le secteur x = 654,950 à 655,150, y = 212,850 à y = 213,000, au sud-ouest du lac sud des TUREAUX.
Le chenal (4) situé à plus grande distance de l'Allier devrait présenter une meilleure filtration et constitue un objectif hydrogéologique intéressant, susceptible d'être exploité pour un futur renforcement des ressources en eau de la. commune de SAINCAIZE-MEAUCE.
Le secteur de TREMIGNY présente une densité bien marquée d'écoulements préférentiels,
L'ensemble du dispositif est partiellement dirigé par des réseaux phototectoniques diagonaux N60E environ.
La protection de la nappe alluviale de l'Allier exige donc le maintien en l'état, surtout dans la zone B (chenal 4 et annexes).
Pour conclure, il y avait donc lieu de s'opposer au projet de gravière au domaine de TREMIGNY, secteur particulièrement fragile au point de vue hydrogéologique. Notre rapport du 25 mai 1994 a finalement entraîné l'abandon du projet et le classement environnement protégé des deux rives de l'Allier autour d'APREMONT.


LES PETITES MOLLES, COMMUNE DE NEUVY LE-BARROIS (CHER),1998-1999
Figure 4

Il s'agit d'un problème d'environnement ayant provoqué un litige entre l'exploitant d'un étang et un céréalier cultivant du mûs dans le Val d'Allier. Le but de l'étude était de rechercher la. cause d'un assèchement local prononcé du Val d'Allier, au nord du lieu-dit LES PETITES MOLLES.Afin de résoudre le problème, nous avons procédé à l'interprétation détaillée et comparative de six missions photographiques aériennes de 1981 à 1998. Les résultats obtenus sont les suivants (rapport de mars 1999)
1°) Le ruisseau du BERNOT, qui traverse l'étang du BERNOT, est alimenté par des sources liées à une nappe pliopléistocène, dont la base est formée de graviers (formation des sables et argiles du Bourbonnais). Pénétrant dans le Val d'Allier en aval du château de NEUVY-LEBARROIS, il prend la direction du nord, puis du nord-est et se poursuit parallèlement à l'Allier. Il rejoint l'Allier au nord-est des COTTERIES. N'apportant qu'un minime appoint à la nappe alluviale, il n'est pas concerné par le problème.
2°) L'étude photogéologique comparative et détaillée fait apparaître l'existence de deux chenaux de sousécoulement parallèles dans le Val d'Allier. L'un passe à proximité des PETITES MOLLES, l'autre se situe plus à l'est à proximité de l'Allier (puits de captage).
3°) Un léger seuil morphologique, vérifié sur le terrain, sépare ces deux chenaux de sous-écoulement.
4°) Le chenal situé à proximité de l'Allier ne présente pas, d'une série de photographies aériennes à l'autre, de modifications d'aspect, sauf pour la mission de 1988 prise en période de forte crue de l'Allier.


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5°) Au contraire, le chenal passant à proximité des PETITES MOLLES montre une évolution d'aspect photographique importante : en effet, sur les plus récentes photographies (1998), on voit nettement apparaître un système de drainage au sud de la propriété et une zone d'anomalies plus claires en aval, groupe d'anomalies de forme elliptique.

En conclusion, il apparaît clairement que des pompages excessifs dans le secteur des PETITES MOLLES ont provoqué l'assèchement local situé en aval, dans l'axe du chenal de sous-écoulement. En conséquence, seule la propriété des PETITES MOLLES est engagée dans ce désordre et non celle de l'étang du BERNOT.

Nous avons résumé ces observations sur une carte synthétique montrant les chenaux de sous-écoulement et la situation au printemps 1998.

FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE