N° 6  -  2000

 

TÉLÉDÉTECTION (REMOTE SENSING)

 

Pour une cartographie méthodique des structures géologiques des aquifères profonds

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1 - HISTORIQUE

C'est à un nommé Gaspard-Félix TOURNACHON, mieux connu sous le surnom de NADAR, que l'on doit les premières photographies aériennes prises à partir d'un ballon en 1858, soit 19 ans seulement après la mise au point de la photographie par NIEPCE et DAGUERRE.
En 1919, le Service Géographique de l'Armée (ancêtre de notre Institut Géographique National) met au point la méthode dite "photogrammétrie" qui permet de tracer directement les courbes de niveau du terrain à partir de photos aériennes vues en stéréoscopie : c'est l'appareil POIVILLIER. Mais ce n'est qu'en 1936 que la photo aérienne commence à être utilisée par les géologues, notamment ceux de la compagnie SHELL qui réalisent pour la première fois une couverture aérienne de ses permis pétroliers en Indonésie.
A partir de 1945, le territoire français commence à être systématiquement couvert par les photos aériennes, ce qui permet à l'Institut Géographique National de publier des cartes topographiques au 1/25.000 et au 1/50.000 d'une grande précision.
Le service de la Carte Géologique de France au 1/50.000 va publier après 1945 des cartes où l'interprétation des photos aériennes jouera un rôle de plus en plus important.
C'est en 1972 que sont lancés les premiers satellites photographiques autour de la Terre : SKYLAB et LANDSAT américains. Le satellite français SPOT est lancé en 1986.
Actuellement, la photo aérienne classique qui utilise l'avion comme vecteur est une photographie sur émulsion sensible. La photo par satellite est une photographie numérique par le moyen de capteurs qui enregistrent certaines bandes d'ondes lumineuses entre l'infrarouge et l'ultraviolet, et sur la bande radar.

2 - NOTIONS DE GEOMORPHOLOGIE STRUCTURALE

Pour mieux comprendre la procédure de détection des structures géologiques, il nous paraît nécessaire d'expliquer au lecteur non averti à partir de quelles observations on peut identifier et cartographier les structures en question.

2.1. La forme des reliefs

L'irrégularité plus ou moins prononcée de la surface du sol est l'expression du phénomène d'érosion par les eaux de surface de toute terre émergée.
A l'instant où une terre émerge de l'océan, elle est soumise à l'érosion qui l'attaque à une vitesse variant en fonction de la cohésion, de la résistance chimique et mécanique des terrains affleurant en surface. La diversité de ces terrains induira donc des formes de reliefs qui indiqueront au géologue la position, l'inclinaison et l'extension de la partie superficielle de toute structure géologique sise en profondeur.
Tous les reliefs en creux se rejoignent et indiquent le sens d'écoulement général des eaux de surface : c'est le réseau hydrographique. Exceptionnellement, on peut observer des dépressions fermées, lesquelles sont dues soit à un sous-cavage par des eaux souterraines de roches vulnérables à l'attaque chimique (érosion karstique) soit à un effondrement tectonique récent.

2.2. Réseaux hydrographiques
Un réseau hydrographique est l'expression du drainage d'un terrain par les eaux de surface. Sa "texture" est un paramètre essentiel pour le géologue cartographe. Les éléments structuraux qu'elle peut révéler doivent être impérativement contrôlés sur le terrain, dans une première phase.
En seconde phase, la télédétection permet actuellement de corréler d'une manière beaucoup plus précise l'ensemble des données de terrain.
A contrario, une cartographie basée uniquement sur la télédétection ne peut se concevoir car elle aboutit à coup sûr à d'importantes erreurs d'interprétation.
La texture et l'orientation d'un réseau hydrographique sont déterminées par la configuration structurale et tectonique du terrain drainé. On pourra ainsi distinguer dans des séquences sédimentaires les passages de niveaux durs et de niveaux tendres et leur direction de pendage, dans les terrains cristallins la limite entre les séquences schisteuses et les granites massifs, dans les terrains volcaniques la limite entre les dépôts pyroclastiques tendres (tufs, cinérites) et les coulées de lave dure, etc.
Les déformations tectoniques du type cassant (failles et fractures) ou du type plissé (anticlinaux, synclinaux) sont également dessinées par le réseau hydrographique.

3 - PHOTO-INTERPRÉTATION SANS MODIFICATION DE L'IMAGE

L'interprétation se fait sur un document photographique original, sans retouches ni transformations. La couverture de la France (et dans la plupart des pays) est faite de telle manière que dans un vol (run) chaque cliché est recouvert sur 1/3 par les clichés voisins, ce qui permet une observation en 3 dimensions grâce à un stéréoscope (système optique à 2 lentilles, équi pé ou non de prismes pour élargir le champ).
Cette méthode classique, couramment utilisée encore aujourd'hui, a pour inconvénient de dépendre entièrement des conditions d'éclairage à l'instant de la prise de vue: des détails importants peuvent ainsi être masqués par des ombres portées ou des parties trop claires.

4 - TRAITEMENT DE L'IMAGE PAR L'OUTIL INFORMATIQUE

Depuis l'introduction sur le marché de la photographie numérique, il est possible de modifier l'image originelle par ordinateur de manière à faire ressortir des détails importants d'ordre géomorphologique, par atténuation d'effets d'éclairage gênants et en diminuant les impacts visuels causés par l'activité humaine (parcellaire agricole, par exemple) ou par une couverture végétale trop dense (forêts de haute futaie, par exemple). Actuellement, la photographie par satellite est la seule à fournir directement des images numériques. Leur pouvoir de résolution est suffisant pour permettre des agrandissements importants: le programme LANDSAT produit des clichés dont la résolution au sol est de l'ordre de 60 mètres. Le programme SPOT, lui, produit des clichés dont la résolution au sol est de l'ordre de 10 mètres.
Par ailleurs, l'I.G.N. propose à la vente des documents numérisés, créés à partir de photographies aériennes classiques sur émulsion. Il est probable que tôt ou tard cet organisme utilisera pour ses vols des capteurs numériques, si ce n'est déjà fait. On peut traiter une image numérique en modifiant les paramètres suivants

4.1. Agrandissement (zooming)
Il permet de travailler à une échelle beaucoup plus grande que celle de l'image originelle. Par exemple, une image SPOT au 1/1.000.000 peut encore être parfaitement lisible après un agrandissement de 40 fois au 1/25.000 qui est celle de la carte I.G.N. la plus précise.
Cette possibilité d'agrandissement est fonction du nombre de pixels enregistrés par les capteurs sur une surface donnée. Un pixel (de l'anglais "picture element") est un élément de surface contenant une information numérique dans différentes bandes spectrales. La taille de cet élément varie en fonction du pouvoir de résolution du capteur.
Par exemple, si la résolution au sol de l'image SPOT est de 10 mètres, la taille de chaque pixel est de 10 x 10 mètres : sur l'écran de l'ordinateur, plus les pixels sont grands plus l'image est agrandie, mais comme il y a moins de pixels par unité de surface, on perd de la netteté dans l'aspect graphique de l'image.

4.2. Luminosité
En faisant varier la valeur de l'intensité lumineuse moyenne sur l'ensemble d'une scène, on peut assombrir ou éclaircir la zone de travail. Mais vers les deux extrêmes, on perd de l'information.

4.3. Balance des couleurs
L'image SPOT originelle est panchromatique, c'est-à-dire qu'elle est l'enregistrement du spectre visible complet.
On peut annuler les valeurs de longueurs d'onde d'un nombre variable de bandes spectrales de manière à ne faire ressortir qu'une seule couleur. Mais l'expérience a montré qu'une image monochromatique est médiocre pour la détection géomorphologique.
On préfère utiliser un programme de balance (d'équilibre) d'un nombre restreint de couleurs, l'option RVB (rouge, vert, bleu) par exemple. Lorsqu'on augmente ou diminue le signal radiométrique d'une de ces couleurs, le programme modifie proportionnellement les signaux des autres sur une surface donnée.
On obtient ainsi une image en fausses couleurs qui peut faire ressortir des détails significatifs permettant d'identifier des objets géomorphologiques.

4.4. Contraste normalisé ( groupage de pixels différenciés)
L'expérience a prouvé que c'est le paramètre le plus intéressant pour la cartographie d'objets géomorphologiques de nature tectonique.
Le principe est le suivant: dans la zone de travail, on considère que la valeur radiométrique de chaque pixel est influencée par les valeurs des pixels voisins. Le programme calcule et modifie cette influence.

4.5 Principe du groupage de pixels par le calcul des valeurs radiométriques moyennes
La procédure consiste à modifier l'influence du voisinage d'un pixel donné, en augmentant ou en diminuant par le calcul statistique les valeurs radiométriques moyennes d'un nombre variable de pixels contigus.
Un exemple est donné sur la figure 3 : deux terrains homogènes couvrant chacun une surface carrée de 25 pixels et séparés par une ligne de 1 pixel de large.

Plus on augmente la taille du voisinage, plus la scène est "filigranée", se dégageant de détails inutiles et permettant de mieux détecter la bande de séparation entre les deux terrains (qui peut être un contact géologique ou une faille).
Sur l'ensemble d'une scène pouvant compter plusieurs millions de pixels, on peut obtenir ainsi un réseau visible de lignes ou d'alignements de points isolés qui peuvent se révéler, après contrôle sur le terrain, être des failles, des lignes d'affleurement de couches sédimentaires, des lignes de contact entre deux formations distinctes, etc.
En d'autres termes, on a dégagé la "texture" géomorphologique interprétable d'une image originelle saturée.

 

5 - APPLICATION A L'ÉTUDE DES EAUX SOUTERRAINES

Les "gisements" d'eaux souterraines sont contenus dans des "corps aquifères" de nature géologique diversifiée : couches sédimentaires ou volcaniques, réseaux et faisceaux plus ou moins serrés de fractures et de failles.
Lorsque ces corps aquifères affleurent par le jeu de l'érosion différentielle de surface, ils se signalent par la présence de sources et de lignes d'émergences diffuses.
La corrélation entre ces sources et émergences et le contexte tectonique reconnu dans lequel elles apparaissent permet d'extrapoler l'extension en profondeur d'un corps aquifère et donc, le cas échéant, de cibler une campagne de forages d'exploration des ressources en eau.
On peut comparer cette approche hydrogéologique en profondeur avec les méthodes de la recherche minière de gisements cachés où, à partir d'indices minéralisés de surface (comparables à nos sources) et de connaissances suffisantes sur le contexte géologique et tectonique, on peut cibler de la même manière des campagnes de forages d'exploration de la ressource minière exploitable.

6 - GÉOBOTANIQUE ET TÉLÉDÉTECTION

L'occurrence à la surface du sol de sources et d'émergences indique à coup sûr la proximité d'un système aquifère profond. Cette occurrence entraîne, dans la plupart des cas, une modification importante de l'écosystème végétal environnant. Un tel changement porte à la fois sur la densité de la couverture végétale et sur l'identité des espèces en présence.
Sur une image photographique d'avion ou de satellite, des changements de ce type sont très souvent identifiables et peuvent servir de critère supplémentaire pour appuyer les données graphiques apportées par l'analyse géomorphologique.
C'est donc un cas de télédétection directe des indices d'affleurement de corps aquifères développés en profondeur.
Il est cependant nécessaire de les contrôler sur le terrain, pour bien les différencier des effets humides dûs aux eaux de surface (cours d'eau, marécages, bords de lacs, etc.).
L'équipe scientifique de notre association comprend surtout des hydrogéologues mais également quelques botanistes. Avec ces derniers, nous avons commencé d'établir une série de stations botaniques sur des points reconnus d'émergences d'eaux souterraines, dans les Alpes du Sud et dans le bassin de la Loire. Le but est d'établir, par région, des listes types d'espèces végétales, correspondant sur les photos aériennes ou satellitaires à des groupages colorés spécifiques, permettant d'identifier la présence de sources ou de zones émergentes et de les cartographier le plus précisément possible