N° 3  -  1996

 

LA FRACTURATION DES ROCHES

Son importance dans la distribution des eaux souterraines

Philippe OTT d'ESTEVOU,

Institut Géologique Albert-de-Lapparent, IGAL, 95092 CERGY cedex.


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Dans les massifs rocheux, l'eau circule en partie dans la porosité intergranulaire des roches, mais, le plus souvent, c'est la perméabilité en grand qui confère à ces ensembles une bonne productivité en eau. Son origine réside presque toujours dans la présence de fractures.
Les progrès récents de la tectonique des plaques nous enseignent que la Terre, sa partie la plus épidermique pour ce qui nous intéresse ici, est soumise en permanence à des efforts tectoniques, nommées contraintes, qui engendrent des déformations. Pour imager cette relation, disons que vous êtes dans le métro, debout; il y a peu de monde et vous lisez tranquillement votre journal, vous êtes à l'équilibre ; la seule contrainte qui vous affecte correspond à la gravité (pour les roches, on parlera de pression lithostatique). A une station quelconque, une foule impatiente envahit le wagon brutalement, vous bouscule, vous repousse…, c'est une contrainte. On vous écrase les pieds, vous vous contorsionnez, essayant de vous adapter au mieux à cette nouvelle situation..., c'est une déformation, ... bon voyage.

CONTEXTE GLOBAL.

A l'échelle globale, trois relations majeures sont reconnues entre les plaques (fig. ci contre)

1). les plaques s'éloignent, s'écartent l'une de l'autre, provoquant un étirement de la croûte superficielle (15 à 20 premiers kilomètres), dont résultent des effondrements appelés "rifts" , comme dans l'océan Atlantique ou en Mer Rouge ; ce régime tectonique est dit "en distension" ; il engendre des dispositifs en blocs basculés (A) ou en horsts et grabens (B) ;

2). les plaques se rapprochent frontalement, rentrent en collision, engendrant des chaînes de montagne (orogenèse), comme dans les Alpes ou les Andes ; on parlera ici de régime "en compression" ;

3). les plaques glissent l'une contre l'autre latéralement, coulissent, comme sur la côte ouest des USA, au niveau de la faille de San Andreas (tremblements de terre de San Francisco) ; il s'agit là d'un régime "en décrochement".

Ces grands régimes de déformation peuvent se succéder dans le temps et dans l'espace. Ils s'expriment prioritairement aux frontières des plaques, mais se propagent aussi, d'une manière plus modérée, dans l'intimité de celles-ci. A l'échelle des massifs rocheux, susceptibles de contenir des aquifères, ces différentes situations tectoniques se manifestent entre autres par l'apparition de fractures propres à chacune d'elles.


LES FAILLES

Parmi les fractures, les failles sont sans conteste les plus significatives. Elles correspondent au glissement de blocs de part et d'autre d'un plan de rupture. Leurs dimensions, très variables, peuvent être métriques à hecto-kilométriques. Elles s'organisent le plus souvent en systèmes dits "conjugués", constituant des réseaux plus ou moins réguliers. L'angle de "conjugaison" entre deux failles d'un même type est d'une soixantaine de degrés, reflètant l'angle optimum de rupture d'une roche soumise à un écrasement, à un "champ de contrainte". Ce champ est défini par trois axes orthogonaux entre eux qui portent des vecteurs exprimant des pressions, majeure (PM), mineure (Pm) et intermédiaire (Pi).

On reconnaît trois type de failles :

* Les failles normales, ou directes, résultent d'une distension (PM verticale).
Elles se traduisent par un jeu vertical et un écartement des blocs, selon un plan de glissement dont la pente est proche de 60° (A). C'est l'association de failles normales de pentes opposées qui détermine les dispositifs en "horst et graben" précédemment évoques (B).

* Les failles inverses naissent d'une compression (PM horizontale). Leur jeu est également vertical, mais, de part et d'autre du plan de rupture dont la pente avoisine 30°, les blocs se superposent (B). On dit qu'ils se chevauchent.

* Enfin, les décrochements correspondent au régime décrochant (PM et Pm horizontales). Ce sont des failles généralement verticales le long desquelles le mouvement des blocs s'opère par coulissage latéral. Ils sont très souvent conjugués, ce qui permet de reconnaître des décrochements dextres, si le bloc situé en face de l'observateur se déplace vers la droite, ou senestres s'il se déplace vers la gauche (C).


AUTRES DISCONTINUITÉS TECTONIQUES.
A chute des failles, existent d'autres types de joints tectoniques. Dans certains cas, le mouvement des blocs s'effectue perpendiculairement au plan de rupture. Si les blocs s'écartent, il s'agit de fentes de tension. Leur ouverture se fait suivant l'orientation de la pression minimum (Pm)De telles structures peuvent rester ouvertes et, la nature ayant horreur du vide, contenir des fluides sous pression, de l'eau par exemple. Mais, dans la plupart des cas, elles sont remplies par des phases minérales.

Si au contraire les lèvres se rapprochent, se produit par serrage un phénomène de pression-dissolution qui engendre des plans stylolithiques : plan rugueux, totalement hérissés de pointes, les pics stylolithiques, toutes parallèles entre elles et parallèles à la direction de pression maximum (PM). Ces deux dispositifs, fentes de tension et stylolithes, particulièrement répandus dans les roches calcaires, sont généralement combinés : la fraction de roche dissoute sur les plans stylolithiques est transportée par voie fluide jusque dans les fentes de tension ou elle cristallise (fig.ci-contre).

Dans d'autres cas, très fréquents, la fissuration se produit sans aucun mouvement visible, de telles fiss ures sont appelées diaclases. Elles s'organisent en général en réseau dense, à mailles cubiques ou losangiques, favorisant efficacement les circulations d'eau dans le sol. La reconnaissance de ces réseaux est très importante pour l'étude des aquifères.


Les relations entre fentes de tension
et stylolithes.
1, plan stylolithique ;
2, pics stylolithiques ;
3, objet dissout le long d'un plan stylolithique ;
4, fente de tension ;
5, trajet du carbonate dissout.

Enfin, un dernier type de discontinuité est représente par les plans de schistosité. Ces plans se développent perpendiculairement à la pression maximum (PM), mais, à la différence des plans stylolithiques, ils sont surtout répandus dans des roches d'origine principalement argileuses, transformées dans les profondeurs de la Terre par des phénomènes de métamorphisme (ardoise, schistes lustrés...). Cette déformation particulière est dite "pénétrative", car elle se reproduit intimement dans la roche jusqu'à l'échelle moléculaire. I1 existe donc dans un schiste une infinité de ces plans. Normalement, en profondeur, ils sont étanches, mais quand, à la suite de bouleversement tectonique, les roches qui les portent sont remontées en surface, elles subissent une décompression qui peut partiellement "ouvrir" la schistosité, permettant des circulations de fluides.

Ces divers objets tectoniques sont seulement d'ordre métrique à hectométrique, en revanche, ils sont plus fréquents et surtout plus densément répartis que les failles qu'ils accompagnent souvent.

LA FRACTURATION DANS LES PLIS.

Par rapport aux fractures, les plis apparaissent comme des structures continues, les couches sont déformées sans rupture, en apparence. En réalité, les plis qui se forment dans les tout premiers kilomètres de l'écorce terrestre se réalisent par l'intermédiaire d'une fracturation dense et très organisée. A l'échelle de chaque couche impliquée dans le plissement, s'associent toute la gamme des fractures précédemment décrites (fig.ci-contre). Ainsi, les plis, quelle que soient leur nature ou leur forme, doivent être également envisagés sous l'angle de la fracturation comme élément de drainage des eaux souterraines.

LES FRACTURES ET L'EAU.
Dans les massifs rocheux, les fractures de diverse nature sont omniprésentes. Elles montrent en général un haut degré d'organisation qu'une bonne analyse structurale peut mettre en évidence. Cette organisation règle en majeure partie l'écoulement des eaux dans les nappes phréatiques et sa connaissance est un outil précieux, voire indispensable pour l'hydrogéologie. Toutefois, au-delà de l'établissement du réseau géométrique des fractures, beaucoup d'autres points méritent de retenir l'attention comme l'age des fractures, l'évaluation de l'importance du jeu les failles, leur degré de dissolution karstique si elle existe... Ces points relèvent d'observations naturalistes qui permettront de calibrer un réseau, de préciser que telle famille directionnelle de fractures possède une bonne perméabilité, tandis que telle autre est parfaitement étanche et ne peut servir de drain. Par exemple, une faille qui a joué depuis et pendant longtemps risque un colmatage important aux abords du plan de glissement, soit par cristallisation minérale secondaire, soit par la présence d'un tapis microbréchique plus ou moins argileux et imperméable. Une faille n'ayant joué que peu de temps pourra au contraire présenter une brèchification très ouverte plus favorable au drainage et éventuellement à la récupération des fluides..., et il resterait encore beaucoup de choses à dire.

 

Pour en savoir plus, quelques ouvrages généraux :

- La fracturation des roches,par JL Blès et B Feuga, edition du B R G M , coll Manuels et Méthodes, n° 1, 1981, 120 p
- Les structures tectoniques, par M Gidon,, édition du BRGM, coll. Manuels et Méthodes, n° 15, 1987, 206 p
- Manuel d'analyse structurale:: méthodes d'observationion, de mesures et de notation; par J. Henry, édition Technip, çoll Methodes modernes de géologie de terrain, fasc. 2a,1983, 183 p
- Principes de tectonique, par A. Nicolas, édition Masson, 1984, 193 p
- Tectonique, par J. Mercier et P. Vergoly, édition Dunod, 1992, 224 p.