
N° 3 - 1996
LES EAUX SOUTERRAINES A NOTRE DAME DES FONTAINES
(LA BRIGUE - ALPES-MARITIMES)
COLLECTIF ASSOCIATION AMIS DES SOURCES
ASSOCIATION DES NATURALISTES
DE NICE ET DES ALPES MARITIMES
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Résumé
Le sanctuaire de NOTRE DAME DES FONTAINES, sur le territoire de LA BRIGUE (Alpes-Maritimes), est renommé
pour ses fresques peintes au XVIèrne siècle par CANAVESIO. Il est construit au bord d'un torrent affluent de la
LEVENSA, sur un affleurement de marno-calcaires d'âge turonien d'où jaillit une ligne de sources qui lui a donné son nom.
Deux sorties sur le terrain effectuées en 1996 nous ont permis de constater que l'émergence de ces sources est
contrôlée par une zone de cisaillement, disloquant profondément les marno-calcaires et provoquant en amont la perte
d'une grande partie des eaux de surface, sur une distance de 400 m et 40 m de
dénivellée. |
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La chapelle de NOTRE DAME DES FONTAINES, située dans une vallée encaissée et boisée à 5 km au nord de
LA BRIGUE, est un lieu de pèlerinage très fréquenté à l'heure actuelle. De splendides fresques peintes par CANAVESIO au
XVème siècle décorent les murs à l'intérieur, y attirant un grand nombre de touristes. Le bâtiment dont les parties
les plus anciennes dateraient du IIème ou IIIème siècle est construit sur une terrasse en pierre, d'âge plus ancien
encore. Cette terrasse s'arc-boute sur des arcades appuyées sur un mur rocheux naturel qui surplombe le torrent.
C'est du pied de ce mur rocheux, à environ un mètre au-dessus du niveau du torrent, que sortent les eaux de source
par une fissure horizontale irrégulière. Une autre source bouillonne dans le lit du torrent cinquante mètres en amont.
Ces sources, dont le débit est variable suivant les saisons, sont néanmoins permanentes.
CADRE GÉOLOGIQUE
D'un point de vue régional, on est situé dans l'auréole de terrains sédimentaires subalpins qui entourent la
terminaison sud-orientale du Massif du MERCANTOUR. Ces terrains, dont l'âge s'étend du Trias au Paléogène, dessinent un
grand arc de cercle entre le Col de TENDE au nord et la région de SAORGE au sud. Sur les territoires des communes de
TENDE et LA BRIGUE, ils sont entaillés par deux grandes vallées : la haute ROYA et son affluent de rive gauche, la
LEVENSA. C'est sur le versant oriental de la vallée de la LEVENSA que notre site d'étude est situé.
Stratigraphie
Le vallon au fond duquel est construit le sanctuaire est le vallon du MONT NOIR, à une centaine de mètres en amont
de son confluent avec le vallon de BENS. Ces deux vallons orientés est-ouest traversent successivement, du haut vers
le bas, la séquence stratigraphique suivante : - grès lités et schistes (faciès turbidites) d'âge priabonien :
épaisseur 800 m. - calcaires schistosés (calcschistes) d'âge priabonien basal : épaisseur 40 m. - calcaire gréseux
à foraminifères d'âge lutétien : épaisseur 10 m (barre calcaire formant un bon repère morphologique).
- marno-calcaires d'âge turonien : épaisseur 200 m.
Le sanctuaire et ses sources se situent sur cette
formation. L'ensemble de la séquence ci-dessus repose sur les calcaires du jurassique supérieur qui affleurent au
confluent du vallon de la MADONE et de la vallée de la LEVENSA (voir carte ci-jointe).
Tectonique Le pendage
général des couches est dirigé vers l'est. Quoique assez variable dans le détail, il est assez faible dans l'ensemble.
A la hauteur du confluent du Vallon du MONT NOIR et du Vallon de BENS, les mamo-calcaires du Turonien sont traversés
par une importante zone de cisaillement (shear zone) : les lits marneux sont décollés, étirés en fuseaux. Les lits
calcaires sont intensément déformés, striés, formant des microplis du type "sheath folds" (plis en fourreaux). Ces
déformations sont l'indice d'un fort mouvement de décrochement sénestre orienté N14 , à déplacement horizontal. La
barre de calcaire gréseux lutétien qui repose sur les marno-calcaires turoniens, moins ductile que ces derniers, se
fragmente en petits paquets alignés dans le sens de l'étirement. Cet accident tectonique, de par sa position et son
orientation, fait partie d'un champ de décrochements régionaux qui traverse la terminaison sud-orientale du MERCANTOUR,
suivant une direction nord-ouest - sud-est. L'examen géomorphologique des photos aériennes du secteur montre des lignes
de fractures sécantes avec cette zone de cisaillement. Ces lignes de fractures, orientées de N10 à N40, correspondent
probablement à une phase de déformations gravitaires tardives, créées par le jeu de l'érosion rapide par le régime
torrentiel actuel.
NOTES HYDROGÉOLOGIQUES
Lors de la sortie-découverte de l'Association le 21 avril 1996,
nous avons pu observer la ligne des sources qui coulent au pied du mur rocheux sur lequel est bâti le sanctuaire. A
cette période de l'année, leur débit était important. Il s'agit d'émergences atmosphériques où la pression
hydrostatique de sortie est égale à la pression atmosphérique. Elles sortent d'un plan de décollement sub-horizontal
des marno-calcaires turoniens. D'autre part, la source située à 50 m en amont dans le lit du torrent formait un
"champignon" bouillonnant très net au-dessus des eaux de surface du torrent du MONT NOIR.
Ce "champignon" indique
que cette source est différente des sources atmosphériques qui s'écoulent sous la terrasse du sanctuaire : il s'agit
d'une émergence de type vauclusien où la pression hydrostatique à la sortie est supérieure à la pression atmosphérique
(effet de siphon). La sortie ayant lieu parmi les blocs et galets encombrant le lit du torrent, le griffon en roche
ne peut être observé. Nous avons effectué une nouvelle visite début septembre 1996 à la période d'étiage : à l'amont
de la source vauclusienne, le lit du torrent était complètement à sec. Les eaux s'écoulant vers l'aval du sanctuaire
provenaient uniquement de la source vauclusienne et des sources atmosphériques du pied du sanctuaire. Leur débit était
encore important.
Nous avons alors remonté vers l'amont le lit du torrent à sec creusé dans les marno-calcaires
turoniens écrasés de la zone de cisaillement décrite précédemment. A la hauteur de la faille bordière de cette zone à
l'est, nous avons retrouvé les eaux de surface sous forme d'une cascade tombant de quelques mètres dans une large vasque
ronde d'où aucun filet d'eau ne s'échappait. Il s'agissait là d'un point d'engouffrement total des eaux de surface
(embut), ce point étant situé à 400 m environ en amont du sanctuaire et à 40 m au-dessus en dénivelée. |
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Nous avons
remonté également la partie inférieure du vallon de BENS, creusée dans les mêmes formations, puis dans les grès et
calcschistes du Priabonien. Au niveau d'une faille de direction N100 déterminant un coude brusque du torrent à environ
500 m de son confluent, nous avons observé une diminution importante de débit des eaux de surface à l'aval d'une grande
vasque ronde située sur l'intersection du lit du torrent et de la faille. Là aussi, il s'agit d'un point d'engouffrement
des eaux de surface, probablement déterminé par la faille. Ce point est également situé à 40 m en altitude au-dessus des
sources du sanctuaire.
CONCLUSION Par déduction des observations exposées ci-dessus, les eaux souterraines
qui alimentent les sources sur lesquelles est bâti le sanctuaire de NOTRE DAME DES FONTAINES proviendraient
vraisemblablement des pertes des torrents du MONT NOIR et de BENS. Ces pertes sont provoquée par une dislocation
tectonique intense des marnes et calcaire du Turonien en amont de sources. Le trajet souterrain des eaux perdues est
d'environ 40 mètres à l'horizontale et de 4 mètres en dénivellation. Le point théorique de confluence souterraine entre
les eaux provenant du torrent du MONT NOIR et celles du torrent de BENS est situé à 250 m à l'est du confluent des eaux
de surface des mêmes torrents. La source vauclusienne située 50 m en amont du sanctuaire a probablement une origine
différente : ses eaux sont peut-être amenées par une faille sécante à la zone de cisaillement, située sur la rive gauche
du torrent du MONT NOIR, avec une mise en charge due la dénivelée de près de 500 m qui est celle du versant de rive
gauche de ce torrent.
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