N° 2  -  1995

LA CIME DU BAUDON

LES EAUX SOUTERRAINES DES CALCAIRES JURASSIQUES ET CRETACES DE L'ARC DE NICE

(2ème partie)

Pierre de BRETIZEL

Résumé La cime du BAUDON et les crêtes secondaires du BAUSSON et de GORBIO dominent par des reliefs escarpés de plus de 1000m, le littoral de la région de MENTON. Géographiquement ils font partie de la branche orientale de l'Arc Préalpin de NICE. Ils sont constitués par des calcaires et dolomies jurassiques et crétacés inférieur dont l'épaisseur totale atteint 300m. Du point de vue tectonique ils forment un double chevauchement en direction du Sud-Ouest sur un substratum de marno-calcaires crétacés. Ce chevauchement est disloqué transversalement par des failles décrochantes d'importance régionale. Treize émergences, ou groupes d'émergences ont été répertoriés à ce jour au cours de nos campagnes de terrain. Elles sont de faible débit ou intermittentes en période d'étiage et ne jouent qu'un rôle de trop-plein dans la circulation des eaux souterraines en milieu Karstique ou le réseau des failles décrochantes joue le principal rôle de drainage.

DOCUMENTS DE RÉFÉRENCE.
- Carte géologique au 1 /50.000°. Feuille MENTON-NICE XXXVII 42 - 43.
- Inventaire spéléologique des A.M. CREAC'H. 1967.
- Carte topographique I.G.N. au 1 /25.000°. Feuille 3742 Est.
- Photographie aérienne I.G.N. 3742-250 N° 90.
- Image satellitaire SPOT 1 HRV1 054-262. 19 AUG 86.
- Etude géologique du couloir décrochant de PEILLE. Mémoire d'aptitude 3e année. IGAL. PASCAUD Frédéric. 1994. (inédit).

CADRE GÉOGRAPHIQUE.
Le terrain de la présente étude comprend le massif du BAUDON se prolongeant vers le Sud-Est par la crête du BAUSSON et la cime de GORBIO. II prolonge vers le Nord-Est le terrain de l'étude présentée dans le numéro 1 -1994 de la CHRONIQUE. Les communes dont le territoire est concerné sont GORBIO, PEILLE et SAINTE AGNÈS.

ENVIRONNEMENT
Physiographie
Les cimes du BAUDON et du BAUSSON constituent un relief aigu situé au Nord-Est de la crête du Mont AGEL. Elle culmine à 1 264m. Orientée Sud-Est Nord-Ouest, son flanc Sud est constitué d'une falaise dominant des éboulis, tandis que son flanc Nord, moins abrupt, domine le ravin des Banquettes.
Au Sud, la cime de GORBIO, culminant à 928m, de même orientation, ferme en amont le Vallon de GORBIO. Elle constitue le dernier relief de l'Arc de NICE, au dessus de la zone littorale de MENTON.
La cime du BAUDON et la cime de GORBIO sont séparées par deux Vallons situés dans le même alignement ( Nord-Ouest Sud-Est) : le Vallon de PEILLE descendant vers le Nord-Ouest en direction de la vallée du PAILLON; le Vallon de BAUSSON descendant vers le Sud-Est en direction de la vallée de GORBIO et la mer.

Végétation
La végétation de garrigue est dominante sur les flancs Sud des reliefs avec des peuplements dégradés de chênes à feuilles persistantes et de pins d'Alep. Sur les flancs Nord se développe une forêt de feuillus dont les principaux représentants sont le charme et l'érable champêtre.

L'occupation des sols est la suivante:
a) Zones pastorales en altitude: moutons, chèvres.
b) Cultures en terrasses d'oliviers, autour et au-dessus du village de GORBIO, jusqu'à 450m d'altitude.
c) Habitations isolées: au-dessus du village de GORBIO, dans le Vallon dé PEILLE et dans le Vallon des BANQUETTES, sous la cote d'altitude de 550m.
d) Activités industrielles: néant.

Réseau hydrographique de surface.
Il est très réduit. Les cours d'eau permanents sont :
- Le ruisseau du BAUSSON
- Le ruisseau du Val de Ville de PEILLE
- Le torrent du Rank
- Le ruisseau des Banquettes
- Le torrent du Borrigo

Ces cours d'eau drainent des thalwegs adventifs généralement à sec, ne fonctionnant qu'à l'occasion des pluies.

CADRE GEOLOGIQUE
Les données géologiques exposées ici proviennent d'une cartographie systématique du terrain effectuée en 1994 par Frédéric PASCAUD ( IGAL ) à l'échelle du 1 /25.000°, appuyée et contrôlée par une analyse géomorphologique à partir de photos aérienne IGN et d'un traitement d'image satellitaire SPOT par logiciel OCAPI (Société FLEXIMAGE 43 rue de la Brèche aux loups 75012 PARIS).

Stratigraphie (figure 12)
Les terrains affleurant dans le secteur de l'étude sont les suivants, de bas en haut dans l'ordre stratigraphique :

Trias supérieur Marnes gypseuses vertes et rougeâtres à fins lits de dolomie jaunâtre. On y observe la présence de bancs de lignite. Les affleurements sont rares et généralement broyés. Lias indifférencié Dolomies litées grisâtres à jaunâtres, à stratification irrégulière. Le banc de base, plus épais, forme un repère géomorphologique assez caractéristique. Dogger Dolomie massive en bancs épais à stratification peu marquée, parfois oblique. Elle devient caverneuse dans les parties déformées par la tectonique. Malm Calcaires fins beiges à patine gris-clair en lits réguliers de 30 à 50cm d'épaisseur. Vers le haut ils passent à des calcaires lithographiques massifs, gris clair ou blancs, à faciès récifal. La séquence se termine au sommet par de grandes dalles de calcaire sublithographique à surfaces corrodées, à interlits d'argile verdâtre (faciès Purbeckien). Ces dalles "arment" les crêtes sommitales du Baudon, du Bausson et de la cime de Gorbio. Néocomien Calcaires marneux à litage régulier, grisâtres, parfois glauconieux à patine ferrugineuse à certains niveaux. Les surfaces des bancs comportent souvent de nombreuses pistes de vers. Ils débutent, à la base, par un horizon à oolithes ferrugineuses.

Albien
Grès glauconieux vert-foncé, à stratification confuse, irrégulièrement induré.
Cénomanien
Marnes noires à épisodes discontinus de calcaires marneux beige-clair.
Turonien
Calcaires marneux jaunâtres en alternance régulière avec des marnes jaunâtres ou grisâtres. Série épaisse et monotone où l'on observe parfois des épisodes gréseux et/ou glauconieux.L'ensemble Néocomien et Albien n'est développé que dans la moitié Nord du secteur de l'étude. Vers la limite Ouest il diminue et disparaît totalement dans le secteur contigu du Mont Agel, où les marnes noires du Cénomanien viennent reposer directement sur les calcaires en dalles du sommet du Jurassique. (voir figure 12)

Tectonique. ( Fig.11 et Fig 13 -14 )
Le secteur est affecté par trois mouvements chevauchants majeurs en direction du SudOuest :

Les couches chevauchantes du Jurassique du BAUDON et du BAUSSON sont en position stratigraphique normale: elles constituent une écaille simple, monoclinale à pendage Nord-Est. Par contre les couches chevauchantes du Jurassique de la cime de GORBIO forment un anticlinal couché. Le flanc inverse, situé à la base des escarpements qui dominent le village de GORBIO, au Nord, est donc en position stratigraphique inversée : marnes gypseuses triasiques écrasées reposant sur les dolomies du Lias. (voir Fig.13 ).

Couches aquifères (Figure 13 )
La masse affleurante des calcaires et dolomies du Jurassique et des calcaires marneux du Néocomien atteint 300m d'épaisseur dans le secteur de l'étude. Elle constitue un aquifère à régime karstique, similaire à celui où circulent les eaux souterraines du réseau de Ste THECLE (cf. N° 1 - 1994 de la CHRONIQUE). Mais, à la différence de ce dernier, il n'existe pas d'exutoire principal en relation directe avec les calcaires et dolomies du BAUDON, du BAUSSON et de la cime de GORBIO.

Les sables et grès verts de l'Albien forment également un aquifère mais à perméabilité intergranulaire, donc à pouvoir filtrant important, au contraire de l'aquifère karstique dans lequel les eaux circulent librement sans filtration dans les fractures. Cette couche gréseuse atteint une vingtaine de mètres d'épaisseur dans la partie Nord du secteur d'étude mais diminue rapidement vers le Sud pour disparaître totalement au Sud du sommet du BAUDON. Reposant directement sur les calcaires sous-jacents il y a donc collusion des grès aquifères avec la masse calcaire.

La masse des formations calcaires, dolomitiques et gréseuses est "enchâssée" , par le jeu de la tectonique chevauchante, dans l'épaisse série marno-calcaire imperméable du Turonien. Celle-ci se trouve localement décollée, par effet de pesanteur, à son contact avec la partie supérieure de la masse calcaire (voir figure 13).
Les plans de décollement déterminent localement des aquifères.

L'ensemble de la séquence des couches aquifères et imperméables constitue, dans le secteur de l'étude, un monoclinal relativement régulier, penté en moyenne de :
- 40° vers le Nord (N 10) dans le sous-secteur du BAUDON
- 50° vers l'Est (N65) dans le sous-secteur du BAUSSON
- 40° vers le Nord (N 180) dans le sous-secteur de la cime de GORBIO.

Les eaux souterraines, circulant librement dans le réseau karstique des calcaires et des dolomies, ou percolant lentement dans les grès de l'Albien, s'écoulent vers l'aval-pendage selon les directions ci-dessus.
* dans le sous-secteur du BAUDON elles alimentent une nappe captive probable qui serait située sous le Vallon des Banquettes.
* dans le sous-secteur du BAUSSON elles alimentent une nappe captive probable qui serait située sous le Vallon du BORRIGO, au Nord-Ouest de Ste AGNÈS.
* dans le sous-secteur de la cime de GORBIO elles alimentent une nappe captive probable qui serait située sous le Vallon du BAUSSON. La barre inférieure dolomitique de la cime de GORBIO est probablement en relation avec la nappe captive de la vallée de GORBIO.

Failles drainantes (Figures 14 et 15 )
La présence d'un champ de failles décrochantes orientées N10-15 et N150 (cf. Paragraphe 4.2) perturbe la circulation interstrate des eaux souterraines dans les aquifères. Cette circulation peut être inversée à contre-pendage dans le cas de la faille du Pas d'Ongran, au Nord, des failles du col de la Madone, de la faille du Pas de la Piastre (entre BAUDON et BAUSSON) et de la faille de Ste AGNÈS, au Sud-Est. Dans d'autres cas la circulation interstrate est déviée par la différence d'orientation entre le pendage des strates et l'accident décrochant. Signalons enfin une possible interconnexion entre les nappes captives des Banquettes, du Bausson et du Borrigo par les principaux accidents décrochants.

Sources et points d'émergences des eaux souterraines
La plupart des sources observées dans le secteur d'étude sont d'un débit insignifiant en période estivale d'étiage. Les points d'émergence fonctionnent pour la plupart comme "trop-pleins" des couloirs de drainage du champ de failles. Aucun exutoire important (du type Sainte Thècle) n'a été observé aux basses altitudes du secteur d'étude : la presque totalité des eaux libres souterraines rejoint donc les nappes captives environnantes.
Les points d'émergence répertoriés au cours de nos investigations n'ont pas fait l'objet de mesures de débit.
Ce sont :