
N° 2 - 1995
L'HYDROGÉOLOGIE AUJOURD'HUI
Dominique LEMAIRE
Géologue Docteur en Sciences
" Institut Géologique Albert de Lapparent, " et "
Recherches et Etudes Industrielles en Géosciences "
IPSL 13, boulevard de l'Hautil, 95 092 CERGY-PONTOISE CEDEX
Pour ce que nous en savons aujourd'hui, la vie n'est rendue possible que par la présence de l'eau, véritable sang de la terre ; s'il est contaminé, la maladie se transmet à tout l'organisme. Il en est de même pour l'eau, si elle est polluée, c'est l'ensemble du système écologique qui est mis en danger. Les importants développements technologiques nécessaires à notre confort entraînent inévitablement des perturbations du milieu naturel qui affectent, en premier lieu, le sol et l'eau. Certaines sont sans conséquences mais d'autres doivent être contrôlées voire supprimées. Il n'est pas question, pour nous, de retourner à " l'âge de pierre " mais bien d'assumer les méfaits dont nous sommes responsables et de les contrôler au mieux. Le rôle du géologue étant, dans ce cas précis, de chercher les zones les moins vulnérables pour implanter des structures indispensables et de réaliser des études pour évaluer l'impact de telles installations. Une action de sensibilisation, d'éducation et d'information est nécessaire face à l'ignorance des populations, trop souvent trompées par des campagnes de désinformation (menace de pénurie d'eau, danger de pollution par des décharges contrôlées ou des centres de stockage, etc.), plus fréquemment basées sur le goût, qu'ont les médias, du sensationnel que sur de réels fondements. On entend encore trop d'invraisemblances dès qu'il s'agit d'environnement. N'oublions pas que nous ne pourrions changer de mode de vie (électricité, eau, automobile, etc.) et qu'il nous faut donc prendre en charge, au mieux, les inconvénients qui en découlent, mais, surtout, ne pas les ignorer : il vaut mieux installer des décharges contrôlées que laisser se développer partout des décharges sauvages. En France, environ 7 milliards de m3 sont prélevés, chaque année, dans les ressources souterraines : la moitié sert à l'Alimentation en Eau Potable (AEP) des habitants, un quart est consommé par l'industrie et un autre est utilisé pour l'irrigation.
DÉFINITION
L'hydrogéologie est la science de l'eau souterraine ; sa circulation, au niveau du sol et du sous-sol, ne représente qu'une étape du cycle de l'eau terrestre. Cette eau souterraine est, essentiellement, alimentée par les précipitations (pluies) qui renouvellent l'eau des nappes tout en entretenant l'écoulement souterrain. L'hydrogéologie repose principalement sur la géologie en faisant toutefois appel à d'autres disciplines telles que la climatologie, la géochimie, la géophysique, l'hydraulique, l'hydrodynamique, l'hydrologie, les mathématiques, etc. La quantification des écoulements souterrains, les lois qui les régissent, les caractéristiques physico-chimiques, les interactions eau-sol et eau-roche, la géochimie isotopique, l'influence des mécanismes biologiques sur la qualité des eaux sont autant d'éléments indispensables à l'hydrogéologie. Un aquifère est constitué de deux entités : le réservoir et l'eau elle-même. Le réservoir est composé de formations géologiques perméables (sable, roche fracturée, ...)qui reposent sur des terrains imperméables qui retiennent l'eau. C'est donc la géologie qui contrôle la géométrie et la localisation (en profondeur) du réservoir, de même que son type. II remplit trois fonctions : stockage, conduite ( l'eau n'est pas statique mais circule au sein des roches ) et zone d'échanges géochimiques (l'eau étant contenue dans les roches, leur chimie influe très nettement sur sa qualité). La réserve en eau souterraine représente toute l'eau gravitaire, seule fraction exploitable du gisement, stockée dans l'aquifère. La ressource en eau, quand à elle, correspond à la quantité d'eau exploitable en respectant un certain nombre de contraintes, en particulier, la préservation de l'équilibre écologique. II existe trois grands types d'aquifères : nappe captive ( " sous pression " dans une formation), nappe semi-captive et nappe libre (à la pression atmosphérique).
LES ÉTUDES HYDROGÉOLOGIQUES
La gestion de l'exploitation et la protection de la ressource en eau, ainsi que l'exploitation de son énergie (géothermie), la réalisation de stockages superficiels ou souterrains, la construction d'installations urbaines aériennes ou souterraines, industrielles ou agricoles, et l'évacuation des rejets sont autant de domaines dans lesquels l'hydrogéologie intervient. Si l'on s'intéresse plus précisément à l'Alimentation en Eau Potable (AEP), c'est l'évaluation de la réserve et de la ressource en eau qui est importante. Celle-ci conduit le géologue à considérer les entrées et les sorties aux bornes du système "aquifère". Les études hydrogéologiques sont basées sur des bilans, véritables balances comptables. Elles sont réalisées en considérant un système bien délimité dans l'espace (bassin versant) et borné dans le temps (année, le plus souvent). Un certain nombre "d'outils" permettent d'établir ces bilans en procédant par mesures directes : sonde piézométrique (mesure de la hauteur d'eau de l'aquifère), jaugeage de cours d'eau (mesure de débit), pompage expérimental (mesure de perméabilité des terrains), etc. Les résultats obtenus sont visualisés sous forme de cartes ou conduisent au calcul de paramètres. La cartographie d'un aquifère permet d'en visualiser les limites inférieures, supérieures et latérales (cartes en isohypses ou isobathes), d'une part, et la dynamique de l'eau - circulation, en particulier (cartes pièzométriques), d'autre part. Les essais de pompage servent à mesurer ou à évaluer les caractéristiques de l'aquifère sollicité et/ou celles de l'ouvrage exécuté (forage, puits).
LES DEUX NOUVEAUX CONCEPTS DE L'HYDROGÉOLOGIE
L'évolution des besoins en eau peut se définir en deux concepts : l'eau "bonne" et l'eau "mauvaise" (Y. Lemoine,1995). L'eau "bonne" est celle consommée pour l'Alimentation en Eau Potable (AEP), pour l'irrigation et pour l'industrie, c'est également l'eau minérale (en bouteille ou aérosol), l'eau thermominérale (cures thermales) et même l'eau salée (pisciculture, balnéothérapie, ...). Les besoins en eau potable des collectivités sont pratiquement couverts de façon quantitative ; s'ils ne le sont pas, c'est qu'il y a augmentation ponctuelle de la consommation ou des problèmes de qualité. Ces derniers sont, particulièrement, à l'ordre du jour : vulnérabilité et protection, diagnostic et remédiation, ou politique de l'autruche (recherche de ressources moins vulnérables donc plus profondes). L'eau "mauvaise" correspond à l'eau souterraine rencontrée lors de travaux (bâtiment et génie civil) et qui gêne leur progression. Ce terme peut, également, être appliqué à l'eau en tant qu'obstacle aux réalisations indispensables au fonctionnement du pays : installations industrielles, agricoles et urbaines (eaux pluviales plus ou moins polluées, rejets divers, ...), sites de stockages superficiels ou profonds (substances utiles ou déchets), zones d'infiltration, ..., ainsi qu'à l'eau en temps que nuisance : risques d'inondation, ...
QUALITÉ ET VULNÉRABILITÉ DES EAUX SOUTERRAINES
En France, nous ne manquons pas d'eau souterraine, contrairement à ce dont il est souvent fait état dans les médias, mais c'est leur qualité qui est menacée. L'eau est fragile car le polluant contenu dans l'eau voyage avec elle. La pollution est donc véhiculée par les eaux pluviales, par les eaux de ruissellement (nitrates, ...), par les eaux d'infiltration (friches industrielles) et atteint les nappes, qui sont susceptibles d'être exploitées. La pollution se traduit également au niveau des rivières (poissons morts) et des plages (exutoires dégoûts, ...). C'est la pollution résultant de l'activité humaine qui est, actuellement, le risque le plus important de limitation de la ressource en eau. C'est pourquoi une législation contraignante établissant des normes de qualité concernant les rejets d'installations industrielles et fixant des critères stricts de potabilité pour la consommation humaine a été, récemment, mise en harmonie avec les directives européennes (1992). Les agressions polluantes sont d'autant plus redoutables que leurs effets peuvent être longs à se produire (étalés ou différés dans le temps) et, de par là-même, long à se résorber : d'où l'importance des règles de prévention. La vulnérabilité de l'eau souterraine dépend, essentiellement du contexte géologique. La réalisation systématique de cartes de vulnérabilité rendraient la prévention d'autant plus efficace.
PRÉVENTION DES POLLUTIONS ET DES RISQUES D'INONDATION - GESTION ET PRÉSERVATION DES RESSOURCES EN EAU.
La prévention est le seul moyen de lutte efficace contre ces deux fléaux de notre temps. La dispersion des compétences au niveau de l'administration est un handicap important dans la mise en place de la réglementation, ainsi que dans son application et son amélioration. Il est regrettable de constater que c'est souvent lorsque l'on est confronté à des catastrophes, et seulement à ce moment-là, lorsqu'il est trop tard pour une région, que l'on réfléchit à la prévention. Les crues très fortes, responsables des inondations brutales de ces dernières années, ont eu comme conséquence de faire réfléchir, et, peut-être, d'inspirer le développement d'une politique d'avenir. Considérant les coûts liés aux conséquences de ces catastrophes (pollutions et crues), il est important de trouver des remèdes actifs (barrière anti-polluants, modelage de terrains) et passifs (sites appropriés ou contrôles, submersion contrôlée) en fonction des contraintes économiques, de prévenir et de gérer ces risques. La prévention, passant par la réalisation de cartes de vulnérabilité des nappes aquifères ou de Plan d'Exposition aux Risques (PER), est beaucoup moins coûteuse que la "remédiation". De même, sur le plan des ressources en eau, la pérennité d'un gisement sain passe par le développement d'une gestion économe et intelligente (ajustement des qualités et des quantités d'engrais en fonction des cultures, éviter la surexploitation d'eau industrielle, agricole et ménagère, suppression des décharges sauvages...). Qui dit prévention dit également contrôle ; la mise en place de ces contrôles et la manière dont ils sont effectués sont très variables d'une région à l'autre. Il est indispensable que les contrôles soient réalisés par un personnel compétent et formé pour les effectuer : non, n'importe qui ne peut pas procéder à un prélèvement d'eau sur un réseau de distribution ! ...
LES EXPERTS DE L'HYDROGÉOLOGIE : LES HYDROGÉOLOGUES AGRÉÉS EN MATIERE D' HYGIENE PUBLIQUE
I1 est difficile de parler de l'hydrogéologie sans parler de ses "experts", à l'origine de bien des débats au sein de la profession de géologue. Le nouveau rôle, imparti aux hydrogéologues agréés est de ne s'occuper que de la protection des points d'eau (et non de celle des aquifères). Cette limitation de leur intervention a été justifiée par les instances ministérielles, en partie, par le fait que la qualité des avis émis auparavant était très variable. Cette hétérogénéité est due, en grande partie, au recrutement de ces "experts" qui n'étaient et ne sont toujours pas, obligatoirement, géologue ! Est-il normal qu'un médecin ou un pharmacien n'ayant aucun diplôme de géologie puisse être nommé hydrogéologue agréé en matière d'hygiène publique par un préfet de région ? La même question doit être posée en ce qui concerne les personnes qui se disent "géologue" avec un diplôme inférieur à un niveau équivalent-Ingénieur. S'agissant de l'attribution d'un titre d'expert, la moindre des choses serait que le candidat ait au moins un niveau Bac + 5, ce qui n'est pas, non plus, le cas de tous les hydrogéologues agréés ! La qualité aléatoire de l'avis a donc conduit les administrations à limiter les domaines d'intervention des hydrogéologues agréés alors que les problèmes liés aux pollutions des aquifères devenaient de plus en plus nombreux, ce qui est, pour le moins paradoxal. Malheureusement, le nouveau système de désignation de ces "experts" présente déjà les mêmes dangers : les organismes professionnels consultés pour avis avant l'établissement définitif des listes d'hydrogéologues agréés ne reçoivent qu'une série de noms, sans qualification, ni fonction, ni âge des intéressés, et ne reçoivent, parfois, même pas la liste ... La meilleure défense étant la prévention et donc la compréhension des phénomènes et du rôle de l'hydrogéologue, c'est en parlant de notre discipline que nous pourrons améliorer la situation actuelle, sensibiliser nos compatriotes et mettre l'accent sur les vrais problèmes... Alors, expliquons l'intérêt des études géologiques à tous nos interlocuteurs : population ou organismes publics et/ou privés concernés.
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